Une croissance modeste portée par la demande interne
L’activité économique progressera encore modestement en 2024. La consommation des ménages tirera l’activité vers le haut, toujours soutenue par la dépense publique, mais pourrait s’essouffler face à la montée des pressions inflationnistes. En effet, la compression des importations, du fait d’un contrôle des changes plus strict, provoquerait un surcroit d’inflation des prix à la consommation. Sans compter que le manque chronique de billets verts pourrait forcer les autorités à abandonner l’ancrage au dollar, provoquant la dépréciation du boliviano (perte de 10% de sa valeur sur le marché des changes officieux en octobre 2023) et mettant davantage de pression sur le niveau d’inflation national. Cependant, les nombreux ménages impliqués dans l’extraction artisanale d’or profiteront du cours élevé de ce métal. Dans le même temps, l’accès limité au financement extérieur et la diminution inquiétante des réserves de change tireront la dépense publique vers le bas. L’investissement privé en subira aussi les conséquences, car voué à ralentir en raison d’un coût d’emprunt encore élevé et du besoin substantiel de fonds du gouvernement, qui redirigera les opportunités de crédit vers le financement du déficit public et les secteurs jugés prioritaires. En parallèle, les échanges extérieurs contribueront négativement à la croissance. L’activité devrait faiblir chez les deux principaux voisins et clients (Brésil, Argentine), qui, par ailleurs, recourent de plus en plus à des sources alternatives au gaz bolivien. L’arrivée du nouveau président argentin pourrait même signifier l’arrêt des ventes de gaz à ce pays. Néanmoins, le secteur du lithium reste attractif aux yeux des investisseurs nationaux et étrangers. En janvier 2023, l’entreprise publique YLB (Yacimientos de Litio Bolivianos), seule productrice locale de lithium, a signé des accords avec un consortium sino-russe, en vue de la construction de deux usines productrices de lithium, opérantes pour 2025. Le tassement des prix des produits agricoles mondiaux (10% des exportations en 2022) et du gaz (52%), les achats d’or par la banque centrale et la mise en réserve de plus de soja pour la consommation interne pèseront aussi sur les exportations. Sans oublier que le phénomène climatique, el Niño, est susceptible de perturber les récoltes, ce qui impacterait négativement les revenus tirés des exportations.
Des déficits jumeaux conséquents et faiblesse des réserves de change
Le compte courant est devenu déficitaire à partir du second semestre 2022, du fait de la diminution de l’excédent commercial. Celui-ci s’est converti en déficit en 2023, en raison de la méforme des exportations, causée par le ralentissement économique dans les pays voisins et en Chine, et du déclin de la production de gaz naturel. Pourtant, les importations ont été contenues par la politique de substitution par l’industrialisation (SI), mise en place en 2021, ainsi que la rareté des devises. En 2024, la tendance négative se poursuivra. La production et la vente de gaz devraient encore se réduire (baisse de 20% du volume exporté en glissement annuel en 2023), alors même que la contrainte sur les importations persistera. En revanche, le déficit des services s’est réduit à la suite de la reprise de l’activité touristique (137000 touristes en plus au premier trimestre 2023 par rapport à l’année précédente) et de la diminution drastique des coûts de fret maritime. En outre, les remises des travailleurs expatriés boliviens devraient conserver leur dynamisme compte tenu du marché de l’emploi favorable en Espagne, au Chili et aux Etats-Unis. Elles équilibrent les rapatriements de bénéfices par les investisseurs étrangers. Enfin, en 2023, le montant enregistré au titre « d’erreurs et omissions » est resté particulièrement élevé (3,7% du PIB en 2023) du fait de la contrebande d’or notamment, et représentait déjà en moyenne 2,7% du PIB entre 2019 et 2021.La méfiance des investisseurs étrangers pèse depuis plusieurs années sur les IDE et les investissements de portefeuille, dont la faiblesse ne permet pas de couvrir le nouveau déficit courant. Il faut donc recourir aux réserves en devises, qui, en plus, ont été sollicitées, en mars 2023, par une fuite devant la monnaie. Face à la difficulté pour la population de se procurer des dollars dans les banques et les bureaux de change, la BCB a dû en vendre directement au public. Dans l’ensemble, les réserves nettes de la BCB n’ont cessé de diminuer, passant de 15,5 milliards d’USD en 2014 à seulement 1,7 milliards de dollars en décembre 2023 (couvrant moins d’1 mois d’importation). Les réserves sont constituées d’or (1,6 milliards d’USD), de devises (166 millions d’USD) et de 41 millions de droits de tirage spéciaux du FMI (DTS). Au vu du niveau de réserves historiquement bas, de la demande domestique de dollars et du besoin de financement extérieur, les autorités monétaires ont remanié en Mai 2023 la « Ley de Oro » (Loi sur l’Or) pour augmenter à court terme la disponibilité en dollars. La monétisation des réserves d’or de la BCB est alors autorisée, et passe, notamment, par l’achat direct de ce métal précieux aux coopératives minières, afin de le transformer en lingot vendu contre devises sur les marchés internationaux. Autre mesure drastique, le président Arce a également exprimé son souhait d’utiliser le Yuan chinois pour le commerce international. Le recours aux prêts multilatéraux, essentiellement régionaux, et bilatéraux, éventuellement gagés sur l’or, devrait permettre au gouvernement de maintenir l’arrimage au dollar et de poursuivre sa politique budgétaire expansionniste en 2024.
Sur le plan budgétaire, le déficit public est resté massif. Tandis que le niveau de dépenses publiques est toujours élevé (subventions sur carburants et alimentation estimées à 3,7% du PIB) en vue des élections générales de 2025, les revenus gaziers, quant à eux, ont continué de décliner. Pour 2024, le déficit public devrait se creuser davantage., Le gouvernement prévoit dans son budget général étatique (PGE), entré en vigueur début janvier 2024, de recourir encore plus aux dépenses publiques afin de soutenir la croissance et de limiter l’inflation. La récurrence du déficit public s’est répercutée sur la banque centrale, importante contributrice à son financement en 2023 (un tiers). Enfin, la dette publique, dont le poids s’est considérablement alourdi en 2020, du fait de la lutte contre le covid, est majoritairement libellée en devises étrangères (à 92% en dollar, 5% en euro et 2% en yen). Une dépréciation du boliviano accroitrait le risque de défaillance du pays. Sa part externe (30% du PIB en juin 2023), représentant 37% du total, est principalement due sur le long-terme et à des organismes multilatéraux (70%).
Forte instabilité politique
La stabilité du gouvernement du président Luis Arce, du parti de gauche Movimiento al Socialismo (MAS), est compromise jusqu’à la fin de son mandat en octobre 2025. Depuis mai 2022, le MAS est divisé en deux courants : d’un côté les « arcistas », modérés, partisan du président Arce, de l’autre, les « evistas », radicaux, soutenant l’ancien président Evo Morales. En octobre 2023, les tensions se sont encore accentuées. Morales et ses partisans ont voté l’exclusion de 30 membres du MAS, dont le président Arce lui-même, afin de désigner Morales comme chef et candidat unique du parti en vue des prochaines élections générales de 2025. La Cour Suprême a annulé cette décision, les evistas ayant empêché le président Arce et ses partisans de participer au vote, générant la colère et des protestations des pro-Morales. Au final, Morales est dans l’impossibilité de se présenter pour un quatrième mandat aux prochaines élections présidentielles, la Cour Constitutionnelle ayant réinstauré la limitation à 2 mandats successifs ou discontinus maximum en décembre 2023. Quoi qu’il en soit, Arce compte organiser de nouvelles élections internes en 2024, mais le processus pourrait déboucher sur une partition du MAS. Reste à savoir quel courant gardera le contrôle du parti et de ses infrastructures. Vu qu’aucun des deux ne disposent d’une majorité aux deux chambres du Congrès, l’agenda législatif risque d’être ralenti jusqu’en 2025, à moins d’obtenir un soutien circonstanciel de l’opposition centriste. Jusqu’à la fin de son mandat en 2025, pour éviter trop de mécontentement populaire, le président devrait s’efforcer de maintenir les dépenses publiques à un niveau élevé et l’arrimage au dollar à l’aide des prêts multilatéraux et bilatéraux.
Sur le plan extérieur, la Bolivie renforce sa relation avec la Chine. Les plans d’exploitation du lithium bolivien illustrent ce rapprochement diplomatique. De même, les relations avec le Brésil, sous le mandat de son président de gauche Lula, devrait rester fortes. En novembre 2023, le Congrès brésilien a approuvé l’adhésion de la Bolivie au MERCOSUR.