L’activité peine à se remettre face aux pénuries et à l’inflation
Le rebond économique de 2021-2022 n’a pas permis de rejoindre le niveau d’activité prépandémique et a fait place à une récession en 2023. Celle-ci s'est inscrite dans un contexte hautement inflationniste, lié à la pénurie alimentaire et énergétique, ainsi qu’à la rareté des devises étrangères. La situation économique a également été aggravée par la persistance des sanctions américaines et des effets de la pandémie. Bien que le tourisme ait enregistré une hausse de 50 % par rapport à 2022, avec 2,4 millions de visiteurs, cela demeure inférieur au chiffre prépandémique de 3,5 millions.
Une reprise est prévue pour 2024. Cependant, le repli budgétaire, la persistance des sanctions américaines et de la pénurie énergétique, et la lenteur de la reprise touristique empêcheront une sortie rapide de récession. La faiblesse de la consommation domestique perdurera. Même soutenue par les remises des expatriés, elle restera impactée par l'inflation alimentaire et énergétique. Cette dernière résulte de la réforme monétaire (même avortée) de 2021, suivie de la pandémie et de la guerre en Ukraine. Le gouvernement a également multiplié par cinq le prix de l'essence, en mars 2024, frappant de plein fouet le pouvoir d’achat des ménages. De plus, l'investissement public dans la maintenance et le développement des infrastructures critiques restera comprimé par la contrainte budgétaire. L'investissement privé demeurera restreint, notamment en raison de la loi américaine Helms-Burton, sanctionnant les entreprises étrangères investissant dans l'île. L’expansion du secteur privé sera également entravée par l’absence de financement international. Les sanctions américaines entraveront l’importation de matières premières, de biens intermédiaires et de pièces de rechange nécessaires à l'entretien des infrastructures et au maintien de la production agricole (14 % des exportations) et industrielle. Les difficultés économiques du Venezuela ont réduit ses livraisons de fioul et de diesel, carburants indispensables à 95 % de l’électricité produite sur l’île. Enfin, les prix du pétrole, projetés pour rester élevés, pèseront aussi. sur l'industrie sucrière et les transports.
Persistance du déficit courant
Le déficit courant s’est légèrement réduit en 2023, principalement sous l’effet de la reprise progressive du tourisme (8 % du PIB en 2021, contre 12 % en 2019). En 2024, cette tendance continuera, les exportations de services continuant d’être tirées par le tourisme. La balance commerciale, structurellement déficitaire, sera soutenue par les exportations minières (47,5 % des exportations totales en 2023, surtout du nickel), de boissons et tabac (23 %) et de produits chimiques (8 %). Néanmoins, les exportations de produits agricoles, notamment de canne à sucre (4 % contre 10 % en 2019), pâtiront des conditions climatiques plus humides et chaudes, ce qui impactera la production d’alcool, de sirop et de rhum. Les investissements étrangers, qui alimenteraient la modernisation industrielle, demeureront limités à cause du maintien des sanctions américaines, du cadre règlementaire et du régime monétaire. Le maintien de Cuba dans la liste américaine des « États parrains du terrorisme » continuera de décourager les investisseurs. Dès lors, le déficit courant sera principalement financé par les émissions d’obligations domestiques.
Un plan d’austérité budgétaire historique
En 2023, le déficit public s’est creusé, résultant d’une baisse des recettes non fiscales et de dépenses élevées dans les domaines de la santé, de l’éducation, de la protection sociale et des subventions à l’alimentation. Il devrait se réduire en 2024. Le gouvernement ciblera ses dépenses sur les infrastructures, afin d’attirer les IDE. De plus, un plan historique de restrictions budgétaires a été annoncé en décembre 2023. Il prévoit de remplacer les libretas, qui offrent des subventions sur les produits de base, par une aide financière directe aux groupes de population vulnérables. D’autres mesures incluent une augmentation du tarif de certains services publics, comme l’eau, l’électricité et les transports de passagers. Cependant, malgré sa hausse récente, le prix du litre d’essence ne vaut que USD 0,5, au cours officiel. La majeure partie du déficit restera financée par l'émission d'obligations souveraines placées auprès du secteur financier public.
La réforme monétaire de 2021 incluant la dévaluation du peso a conduit à une réévaluation à la baisse du PIB et une envolée du ratio de dette publique. En effet, en janvier 2021, le gouvernement a mis en œuvre une réforme monétaire visant à aligner le peso cubain (CUP 1: USD 1), servant pour les échanges extérieurs, la comptabilité nationale et les entreprises publiques, sur le peso convertible (CUC 24: USD 1) utilisé par les touristes et la population. Cette réforme, instaurée en pleine pandémie, a contribué à une inflation galopante, renforcée par les effets de la guerre en Ukraine. Cependant, face à la dépréciation du taux sur le marché parallèle, les autorités ont introduit, en août 2022, un deuxième taux de change légal de CUP 120 pour USD 1 pour les transactions personnelles. Néanmoins, le taux du marché informel a continué de se déprécier, atteignant CUP 400 pour USD 1 début mai 2024, avant de se redresser légèrement à CUP 340 pour USD 1 début juillet. La faiblesse du peso est due à une pénurie persistante de devises étrangères, exacerbée par la lente reprise du tourisme. Cela pourrait conduire le gouvernement à envisager une nouvelle dévaluation du taux officiel.
Malgré un accord sur la restructuration de sa dette bilatérale composée d’arriérés et d’intérêts de retard avec les pays créanciers du Club de Paris en 2015, Cuba a de nouveau fait défaut en 2020. Cet accord, qui effaçait 77% de cette dette (la Russie et la Chine ayant déjà effacé leurs créances), prévoyait que le solde de USD 2,5 milliards était converti en projets d’investissement ou rééchelonné jusqu’en 2033. Cette dette n’est qu’une partie de la dette cubaine évaluée par le gouvernement à USD 19,7 milliards, en 2020, soit environ 126% du PIB. La plus grosse partie est due à des créanciers privés, dont le fonds CRF I Ltd (USD 1,3 milliard).
Les sanctions entretiennent l’isolement de l’île
Miguel Díaz-Canel (Parti Communiste de Cuba, PCC) est président de la République depuis octobre 2019. Il a été reconduit en avril 2023 pour un second et dernier mandat qui s’achèvera en 2028. Le pouvoir exécutif est réparti entre M. Díaz-Canel et le Premier ministre, Manuel Marrero Cruz, nommé par l’Assemblée nationale. Lors des élections législatives de juin 2023, ses 470 sièges ont été renouvelés. Seuls les candidats du PCC et leurs alliés étaient en lice, remportant ainsi tous les sièges. Le pays est toujours sous le coup de l’embargo américain, instauré en 1962 pour obtenir un changement de régime. Cuba fait face à crise économique sévère, marquée par des pénuries généralisées et une détérioration du niveau de vie qui provoquent des manifestations depuis juillet 2021 et une émigration croissante, en particulier des jeunes vers les États-Unis. Depuis 2022, plus de 500 000 cubains (5 % de la population) ont rejoint les États-Unis. De plus, les autorités profitent de l’émigration pour inciter les citoyens les plus revendicatifs à quitter le territoire.
Sur le plan extérieur, les relations avec le grand voisin américain restent tendues, malgré quelques récents assouplissements mineurs de sanctions sous la présidence de Joe Biden, comme la levée du plafond sur les envois de fonds et l'accès aux comptes américains pour les entreprises privées cubaines. De plus, les sanctions américaines appliquées sur le Venezuela, son principal allié régional, également confronté à un contexte économique difficile, rejaillissent sur l’île. La portée extraterritoriale des sanctions américaines explique le soutien mesuré d’autres pays de la région (Brésil, Colombie, Mexique), et d’autres (UE, Canada), Aussi, Cuba cherche à diversifier ses appuis, notamment en renforçant ses relations avec la Chine et la Russie. La proximité avec la Chine se traduit, notamment, par le rééchelonnement de la dette et des investissements. À titre d’exemple, la Chine a investi dans des coentreprises biotechnologiques et pharmaceutiques, et a financé la modernisation du port de fret de Santiago. Par ailleurs, Cuba soutient la Russie dans sa guerre contre l’Ukraine. La présence de la Russie s’illustre par l’irruption de ses navires militaires sur les côtes cubaines.