Une croissance encore affectée par des conditions climatiques exceptionnelles
En 2023, la croissance du PIB aura décliné plus fortement que prévu. Le phénomène météorologique de la Niña provoque depuis 2018 des périodes de sécheresse prolongées, affectant particulièrement les rendements de la production agricole (-27,4%), notamment de soja et de bœuf, et hydroélectrique (-11,8%). Par conséquent, le secteur exportateur aura pesé sur la croissance jusque fin 2023, d’autant que les prix des produits agricoles mondiaux se sont retournés et l’activité économique chez les principaux partenaires commerciaux (Brésil, Chine, Europe) a décéléré. A l’inverse, soutenue par un taux d’emploi, des salaires réels et des pensions en augmentation, ainsi qu’une forte décélération de l’inflation, à son niveau le plus bas depuis 6 ans en août 2023, la consommation privée aura progressé, permettant de conserver une croissance positive. L’appréciation du peso uruguayen face au dollar depuis 2022 a maintenu les prix des produits importés à un niveau artificiellement bas. Toutefois, attirés par le différentiel de prix favorable, les consommateurs ont réservé une part significative de leurs dépenses aux commerces argentins. Les perspectives de croissance sont à la hausse pour 2024. Elles sont soutenues, d’abord, par une activité exportatrice redynamisée, à la fois par l’augmentation de la production et des exportations de cellulose (démarrage de l’usine de pâte à papier UPM), hydroélectrique et agricole, le phénomène el Niño favorisant le retour des précipitations. Le rebond post-covid du secteur touristique, représentant 16% du PIB et de l’emploi en 2019, supportera également l’activité (26% plus de touristes entrants en octobre 2023 qu’en 2019). Cependant, la diminution des prix agricoles mondiaux et la récession du grand voisin argentin pourrait réfréner la reprise des exportations. Parallèlement, le secteur de la construction contribuera négativement à la croissance. L’achèvement de l’édification de l’usine papetière UPM ne sera pas compensé par le dynamisme du logement, conforté par l’investissement croissant des Argentins aisés dans des résidences uruguayennes. Cependant, un début de desserrement des conditions de crédit par la Banque centrale devrait favoriser les autres types d’investissement. Cela favoriserait aussi la consommation privée, dont la contribution positive à la croissance persistera, d’autant que le tourisme commercial en Argentine pourrait diminuer. L’arrivée d’une nouvelle administration argentine suite aux élections d’octobre 2023 pourrait conduire à libéraliser les prix et le change, supprimant, par conséquent, le différentiel de prix entre les deux pays. Néanmoins, la dépréciation du peso face au dollar depuis septembre 2023 ne permettra plus à l’inflation de diminuer.
Sensibilité des comptes aux conditions climatiques et aux prix des produits agricoles
Le déficit de la balance courante s’est creusé en 2023, principalement en raison de la réduction du traditionnel mais toujours conséquent excédent commercial. En effet, la baisse de la production et des prix agricoles a amoindri les recettes d’exportations, tandis que l’effet de la baisse du prix de l’énergie sur la facture des importations aura été minoré par l’augmentation des achats d’électricité auprès du Brésil. Avec le retour de conditions météorologiques plus favorables, qui redynamisera les exportations agricoles et la production hydroélectrique, le compte courant devrait donc voir son déficit reculer en 2024. Les échanges de services devraient retrouver, en 2023, leur modeste excédent d’avant covid. Si le tourisme entrant a progressé moins rapidement que le tourisme sortant favorisé par l’attractivité des prix argentins (130% de flux touristiques sortant supplémentaires au deuxième trimestre par rapport à 2019), il porte sur des sommes beaucoup plus importantes. L’excédent des services devrait continuer de s’améliorer en 2024. Le différentiel de prix avec l’Argentine pourrait bien s’évaporer avec le nouveau gouvernement à Buenos Aires, tandis que le nombre de visiteurs étrangers devrait poursuivre sa progression. Les dépenses de fret maritime continueront d’excéder les revenus procurés par la vente de services informatiques. Enfin, les dividendes rapatriés par les investisseurs étrangers, accrus par l’achèvement de l’usine de pâte à papier, continueront de générer un important déficit des revenus primaires. Les investissements directs étrangers et, secondairement, le recours à l’endettement assurent, sans difficulté, le financement du déficit courant Les réserves en devises étrangères (16,3 milliards de dollars en juillet 2023 couvrant 11 mois d’importations), sont suffisantes pour faire face à tout choc extérieur. La dette externe représente 74% du PIB, mais est à 60% privée et à 40% liée à des investissements directs étrangers ou des prêts intragroupes.
En ce qui concerne les comptes publics, le déficit budgétaire a augmenté en 2023. Les recettes fiscales ont été limitées notamment par la croissance plus modérée de l’activité, la fuite des consommateurs vers l’Argentine voisine, une réforme des retraites, ainsi que les transferts plus généreux aux populations les plus touchées par la sécheresse. Avec l’inversion ou la disparition de ces facteurs négatifs, et malgré des dépenses soutenues par les perspectives électorales, le déficit devrait diminuer en 2024. Par ailleurs, bénéficiant, à la fois, des coûts d’emprunt les plus faibles d’Amérique latine et d’un spread souverain historiquement bas, les conditions d’emprunt n’ont jamais été aussi favorables pour l’Uruguay. De plus, le gouvernement a allongé la maturité de sa dette réduisant ainsi sa vulnérabilité. Enfin, si le poids de la dette publique se stabilisera autour de 60% du PIB entre 2023 et 2024, les autorités ont augmenté sa part libellée en monnaie locale (60% en 2023). Détenue équitablement par les résidents et les non-résidents, la dette publique reste sous contrôle de créanciers obligataires (70%) et multilatéraux (10%).
Marche vers les élections générales de 2024
’Uruguay est une démocratie robuste, avec un faible niveau de corruption et de polarisation politique. Cependant, l’arrivée à terme de la présidence de Luis Lacalle Pou du Partido Nacional (PN, centre-droit), sans possibilité de réélection, agite le monde politique uruguayen. Les tensions entre le Cabido Abierto (CA, droite) et les autres partis de la coalition gouvernementale de Lacalle s’accentuent à l’approche des élections générales d’octobre 2024, le CA n’hésitant pas à voter avec les partis d’opposition de gauche du Frente Amplio (FA) au détriment de ses partenaires. Bien que la réforme anti-usure promue par le CA, facilitant la restructuration de la dette des particuliers, ait très peu de chances de collecter le nombre de signatures requis pour accéder au référendum (au moins 10% des listes électorales), cette initiative pourrait lui faire gagner des points dans les sondages, ce qui l’encouragerait à quitter la coalition de Lacalle, et laisser le gouvernement sans majorité législative en 2024. Jusqu’ici, c’est le Frente Amplio (FA), qui est annoncé gagnant, avec 41% des voix, suivi du PN (28%) et du Partido Colorado (PC, 7%). En parallèle, le FA souhaiterait modifier la réforme des retraites d’avril 2023, relevant l’âge de la retraite 60 à 65 ans, via un référendum (54% des uruguayens en faveur). Les débats politiques du premier semestre 2024 seront tournés vers les élections primaires prévues pour juin 2024, en vue de l’élection présidentielle. A gauche, au FA, le choix entre les deux candidats potentiels s’avèrera très compétitif, et se jouera entre Carolina Cosse, maire de Montevideo, et le favori, Yamandú Orsi. A droite, au PN, il s’agit de trouver un remplaçant au président. Alors que rien n’est encore confirmé du côté de la candidature d’Alvaro Delgado, Laura Raffo a, quant à elle, déjà cherché à consolider ses alliances nationales. Pour le moment, Yamandu Orsi est susceptible de remporter l’élection selon les sondages (22%), suivi par Alvaro Delgado (PN, 13%) et Carolina Cosse (FA, 10%).
En ce qui concerne les relations extérieures, le Président Lacalle s’est principalement concentré sur une réforme du Mercosur, qui autoriserait les pays membres à signer des accords de libre-échange (ALE) indépendamment du bloc. En effet, les progrès bilatéraux significatifs en vue de la conclusion d’un ALE avec la Chine se heurtent au blocage du Brésil et de l’Argentine. Toutefois, Brésil et Uruguay se rejoignent sur la priorisation de l’achèvement de l’ALE UE-Mercosur. De même, la dynamique USA – Uruguay se renforcerait avec le projet d’Accord de partenariat entre les deux pays présenté en septembre 2023 au Sénat étatsunien. S’il était ratifié, la majorité des barrières tarifaires seraient levées, garantissant un accès préférentiel au marché américain. Enfin, l’Uruguay a déposé sa candidature au CPTPP (Accord progressif pour le partenariat transpacifique), mais compte tenu des critères d’adhésion (réformes structurelles et approbation de tous les membres) il est peu probable qu’il y adhère avant 2027.