Timide regain de croissance suspendu à un processus de paix fragile
En 2025, pour la troisième année consécutive, la croissance économique en République Centrafricaine (RCA) devrait repartir à la hausse – à un rythme encore largement inférieur à son potentiel –, toujours conditionnée par l’amélioration de la situation sécuritaire, extrêmement instable, et des livraisons de carburants, dont les pénuries à répétition freinent le développement. Les exportations – leur part dans le PIB augmente (13,7 % en 2021 contre 14,8 % en 2023) – de bois, d’or et de diamants participent à ce modeste regain, alors que l’industrie sylvicole se remet des fortes inondations de 2022 et que le secteur du diamant bénéficie d’un assouplissement de l’embargo partiel imposé par le processus de Kimberley, conférence tripartite en charge d’en contrôler le commerce. Pourtant, une part importante des ressources naturelles continue d’être exploitée illégalement, notamment par des milices armées présentes un peu partout sur le territoire. La RCA, qui figure parmi les pays les plus pauvres et les moins développés au monde, repose encore beaucoup sur l’agriculture (36,3 % du PIB pour 70 % de l’emploi en 2023), essentiellement vivrière, alors que l’insécurité alimentaire touche près d’un Centrafricain sur deux. Le désenclavement du pays, en partie grâce à la modernisation du corridor de transport multimodal fleuve-route reliant Pointe-Noire (République du Congo) à Bangui (RCA) et N’Djamena (Tchad), devrait permettre au pays de mieux assurer ses approvisionnements en intrants agricoles, nourriture et hydrocarbures. Néanmoins, la RCA demeure dépendante de l’aide internationale (6 % du PIB en 2023), notamment du FMI, lequel vient de débloquer 25 millions de dollars supplémentaires en juillet 2024, portant à 65 millions de dollars le total des décaissements sur les 200 millions prévus au titre de la Facilité Élargie de Crédit (FEC) conclue avec Bangui en 2023. Malgré le resserrement de la politique monétaire de la BEAC engagé en 2023, l’inflation devrait stagner, à un niveau modérément élevé, semblable à celui de 2024, alors que le gouvernement envisage de supprimer plusieurs exemptions de taxes sur les biens d’importation (riz et farine) et que les échanges avec le Cameroun, principale porte d’entrée des importations en RCA, fluctuent en fonction de la stabilité dans la région. En conséquence, la consommation des ménages, composante essentielle de la croissance (93,9 % du PIB en 2023), progressera moins rapidement en 2025.
Des finances publiques sous perfusion du FMI
Épaulée par le FMI, la situation budgétaire en RCA devrait s’améliorer en 2024 et en 2025, sous l’effet combiné des efforts du gouvernement en matière de mobilisation des recettes fiscales (seulement 7,3 % du PIB en 2023), appuyés par la progression du soutien international, et de la vigueur des revenus perçus de la sylviculture et de l’industrie minière. L’engagement du FMI aux côtés de Bangui – caractérisé par la signature en 2023 d’un programme de réformes assorti de 197 millions de dollars (FEC) échelonnés sur 38 mois – encourage les donateurs étrangers institutionnels (presque exclusivement multilatéraux ou régionaux) à réinvestir progressivement le pays, exsangue après deux décennies de guerre civile, si bien que les montants versés sont appelés à croître dès 2025. L’assurance d’un tel soutien permet au gouvernement de poursuivre son entreprise de consolidation fiscale au moyen de la modernisation du système de collecte de la TVA, d’une réforme du cadre fiscal des secteurs du tabac et des télécommunications, de la suppression des exemptions de TVA sur quelques produits de base importés (riz, farine) voire même de nouvelles taxes (gaz à usage domestique) et de mesures d’ajustement des prix des carburants pour limiter les importations sur le marché parallèle. Dans le même temps, les dépenses publiques resteront relativement stables (17,9 % du PIB en 2023). En conséquence, le déficit public (-9,6% du PIB en 2023, hors aide extérieure) devrait diminuer en 2024, puis encore en 2025, de même que la dette publique, détenue à 56,5 % par des créanciers étrangers (majoritairement le FMI et la Banque Mondiale) en 2023, dont le poids en pourcentage du PIB devrait s’alléger. Néanmoins, le risque d’explosion de la violence et de l’insécurité pourrait ralentir la mise en œuvre des réformes structurelles et entraver la bonne dynamique des finances publiques, en dépit d’un moratoire sur la dette extérieure consenti en 2020 par les pays du G20 et du Club de Paris.
Malgré des progrès encourageants, la RCA conservera un large déficit sur sa balance courante en 2025 (une majeure partie de l’aide internationale sera inscrite au compte de capital). En cause, une balance commerciale (biens et services) dans le rouge (-14,4 % du PIB en 2023) du fait de la dépendance chronique du pays aux importations de produits de base (carburants, riz, farine, gaz à usage domestique, etc.) et de l’assistance technique chèrement facturée du Cameroun pour les acheminer, sans compter le coût exorbitant du déploiement de mercenaires étrangers sur son sol. Face à cela, le dynamisme des exportations et la baisse des prix mondiaux des produits pétroliers – qui comptent pour une bonne partie de la facture (5,2 % du PIB en 2023) – participeront, malgré tout, à la réduction du déséquilibre de la balance des biens. Comme pour les services, le déficit du revenu primaire restera à peu près stable à mesure que les réserves de change progresseront, compensant la hausse des rapatriements de bénéfices de la part des entreprises minières étrangères. À l’inverse, l’appui du FMI et la mobilisation croissante de l’aide internationale contribueront à conforter l’excédent du solde des revenus secondaires en 2025.
La sécurité au cœur des enjeux politiques et économiques
La RCA demeure dans une situation politique et sécuritaire particulièrement précaire depuis l’éclatement de la guerre civile en 2013. Malgré un fragile accord de paix conclu en février 2019 entre le gouvernement et les différents groupes rebelles, destiné à mieux les intégrer en son sein tout en permettant à l’armée régulière de reprendre le contrôle sur l’ensemble du territoire (sur le papier mais pas dans les faits), l’instabilité persiste dans un environnement intérieur extrêmement dégradé. La réélection frauduleuse du président Faustin-Archange Touadéra, en 2020, aggrave encore un peu plus les dissensions, alors que de fréquents affrontements opposent toujours les partisans du gouvernement à la Coalition des Patriotes pour le Changement (CPC), un mouvement insurrectionnel issu de la fusion de six groupes rebelles créé la même année mais affaibli par ses propres divisions. L’adoption d’une nouvelle Constitution par referendum en juillet 2023, portant de 5 à 7 ans la durée des mandats présidentiels qui peuvent désormais être renouvelés indéfiniment, devrait permettre à Faustin-Archange Touadéra de s’installer durablement au pouvoir, soutenu par les mercenaires du groupe Africa Corps (ex-Wagner) sous la supervision de Moscou. Le chef d’État consolide également sa mainmise sur les grands dossiers économiques en s’arrogeant l’attribution des permis d’exploitation minière. Avec une opposition muselée, l’issue des prochaines élections municipales, plusieurs fois reportées mais finalement programmées pour fin 2024 ou début 2025, ne fait guère de doute, puisque le parti présidentiel, Mouvement Cœurs Unis, devrait largement l’emporter.
Sur le plan international, la RCA consolide ses liens économiques et militaires avec la Russie, maintenant des relations tendues avec l’Occident, refroidi par la présence permanente de milices russes qui assistent et forment l’armée régulière en échange d’un accès privilégié aux ressources du pays (mines, bois, agriculture). Bangui a même franchi un pas supplémentaire, en février 2024, en permettant à Moscou d’installer, sur son propre sol, sa toute première base militaire en Afrique, qui pourra accueillir jusqu’à 10 000 soldats. Dans ce contexte, la MINUSCA, l’opération de maintien de la paix menée par l’ONU en Centrafrique depuis 2014, est tout de même maintenue, en dépit des tensions qui l’opposent au gouvernement et aux populations locales. La France essaye de renouer avec la RCA, Emmanuel Macron recevant à deux reprises son homologue à Paris en septembre 2023 et en avril 2024 pour ne pas laisser le champ libre à la Russie. En outre, depuis 2023, la RCA doit faire face à un afflux de réfugiés fuyant le Soudan, pays voisin en proie à une guerre civile, déstabilisant encore un peu plus le pays, déjà en proie à de très nombreuses difficultés intérieures.