Libéralisation économique, principale source de croissance
En léger recul, la croissance économique restera dynamique en 2024, comme en 2025, malgré le moindre développement des échanges avec la Russie et la Chine, les deux plus importants partenaires commerciaux de l’Ouzbékistan, alors que les exportations de gaz naturel doivent cesser d’ici fin 2025 pour assurer les approvisionnements domestiques. Néanmoins, les exportations d’or (20,3 % des exportations totales en 2022), de coton (8,0 %) et de cuivre (5,5 %), portées par des cours favorables, soutiendront davantage le commerce extérieur. Plus encore, les réformes structurelles, engagées depuis 2016 en faveur de la libéralisation économique du pays, devenu plus attractif auprès des investisseurs, entretiennent une croissance solide. Il s’agit pour le gouvernement d’assurer le développement du secteur privé en se désengageant de l’économie, grâce à la privatisation d’entreprises et de banques d’État. Un mouvement censé se prolonger en 2025 puisque deux établissements supplémentaires (Asaka et SQB) devraient connaître le même destin, alors que 68 % des actifs bancaires sont toujours détenus par des institutions publiques. Ces efforts rejaillissent sur les dépenses d’investissement (34,8 % du PIB en 2023), en progression continue, essentiellement en faveur des secteurs de l’énergie et des infrastructures. Le renouvelable enregistre ainsi une longue liste de nouveaux projets, avec des dizaines de centrales solaires et éoliennes en cours de construction, qui suscitent l’intérêt des investisseurs étrangers, à commencer par les pays du Golfe. Pourtant, malgré des progrès incontestables, l’environnement des affaires reste encore plombé par une corruption endémique, qui dessert l’ensemble de l’économie.
L’augmentation des tarifs réglementés de l’électricité en 2024/2025 entretiendra les pressions inflationnistes sur la période, en dépit de la politique monétaire jugée restrictive de la Banque d’Ouzbékistan (CBU), mais modérée par la financiarisation limitée de l’économie. L’inflation devrait donc se maintenir à un niveau élevé, bien supérieur à la cible de 5 %. La CBU n’a pourtant pas hésité à diminuer de 350 points de base son principal taux directeur depuis juin 2022, à 13,5 % aujourd’hui. En conséquence, la croissance de la consommation des ménages (57,9 % du PIB en 2023), bien qu’encore dynamique, marquera le pas. D’autant plus que les remises migratoires (11 % du PIB en 2023), en voie de normalisation, compenseront moins bien les difficultés intérieures qu’auparavant, notamment à cause du ralentissement de l’activité en Russie, principale destination des émigrés ouzbeks, et de la dépréciation du rouble.
Contretemps électoral pour les finances publiques
En pleine année électorale, le gouvernement multiplie les mesures populistes, repoussant encore un peu plus les efforts de consolidation, si bien que la situation budgétaire devrait se dégrader légèrement, avec un déficit supérieur au plafond de 4 % du PIB, défini dans le budget 2024. Le budget en cours envisage une hausse des salaires dans la fonction publique ainsi que des dépenses sociales supplémentaires, dans l’éducation, la santé et les retraites. En contrepartie, les efforts pour améliorer le recouvrement de l’impôt, la hausse de l’impôt sur les sociétés ou encore la majoration de diverses taxes sur les cigarettes, les carburants ou les véhicules lourds ne compenseront que partiellement les largesses susmentionnées. Néanmoins, la situation devrait s’améliorer dès 2025, en partie grâce la suppression d’importantes subventions énergétiques non ciblées ou d’autres inefficaces au profit d’entreprises d’État, en raison de privatisations supplémentaires. Dans le même temps, les contributions fiscales – stables mais solides – des entreprises minières, qui bénéficient des prix encore élevés de l’or et du cuivre, laisseront le champ libre pour maintenir un niveau important de dépenses en capital et de protection sociale, sans pour autant creuser le déséquilibre. L’essentiel du besoin de financement restera assuré par des emprunts extérieurs non concessionnels, le reste provenant d’émissions d’obligations domestiques et des revenus des privatisations. En conséquence, la part dans le PIB de la dette publique – dont 61,3 % est détenue par l’étranger en 2023 – devrait s’alléger marginalement sur la période, à un niveau déjà modéré, dans le sillage d’une croissance encore robuste.
Le ralentissement des envois de fonds des travailleurs immigrés en provenance de Russie et la hausse des importations devraient contribuer à creuser légèrement le déficit courant en 2024/2025. En effet, la demande accrue de biens de consommation, de biens d’équipement, en ligne avec des dépenses en capital importantes, mais également de services de transport, maintiendront, vraisemblablement, la croissance des importations à un niveau plus élevé que celle des exportations, plombées par l’arrêt progressif du commerce du gaz, malgré des résultats convenables sur le reste du panier d’exportation ouzbek, essentiellement composé de matières premières (or, cuivre, coton). Un déficit néanmoins soutenable, en raison du flux croissant d’IDE (2,4 % du PIB en 2023 contre 3,5 % attendus en 2025) et des emprunts de long-terme, y compris auprès des institutions financières internationales et des prêteurs bilatéraux, qui maintiennent les réserves de change à un niveau confortable, équivalentes à neuf mois d’importations fin 2023.
Durcissement du régime et stratégie d’équilibre international
Shavkat Mirziyoyev, chef de l’État depuis 2016, successeur d’Islom Karimov, qui dirigeait l’Ouzbékistan depuis son indépendance, gouverne le pays avec grande fermeté. Il remporte largement l’élection présidentielle anticipée de 2023 – au terme d’un scrutin marqué par les fraudes et le musellement de l’opposition – consécutive à la réforme constitutionnelle d’avril de la même année, qui lui permet désormais de rester légalement au pouvoir jusqu’en 2037. Soutenu par les élites économiques et politiques, Shavkat Mirziyoyev entretient son image de modernisateur de l’Ouzbékistan. La solide croissance, entretenue par la libéralisation de l’économie, lui assure également le soutien de la population, relativement satisfaite, malgré la corruption, les coupures d’électricité et le non-respect de plusieurs libertés fondamentales. Le risque d’instabilité politique demeure donc contenu, d’autant plus que les violents heurts survenus en juillet 2022 au Karakalpakstan, région autonome du nord-ouest du pays, en réaction à la volonté du gouvernement central de supprimer son statut spécial, sont aujourd’hui maîtrisés. L’issue des prochaines élections législatives, prévues pour octobre 2024, ne fait d’ailleurs aucun doute, puisque tous les partis représentés au Parlement soutiennent la politique du président.
Sur le plan international, l’Ouzbékistan recherche l’équilibre de ses intérêts entre la Chine et la Russie, ses deux principaux partenaires, afin de ne jamais trop dépendre de l’un ou de l’autre. L’empreinte culturelle, politique et – en particulier – économique de Moscou est de plus en plus contestée par Pékin qui investit des montants importants dans le pays ces dernières années, même si une grande partie des IDE proviennent encore d’entreprises d’État russes. Il n’empêche que l’Ouzbékistan a choisi la neutralité diplomatique dans la guerre que mène la Russie en Ukraine, alors que les sanctions affaiblissent son rayonnement dans la région, ouvrant un peu plus la voie à la Chine. La guerre d’influence entre les deux puissances se retrouve ainsi dans les projets en cours dans le pays. Lors d’une visite en mai 2024, Vladimir Poutine s’est engagé à faire construire par Rosatom la première centrale nucléaire du pays, alors que ce dernier importe de plus en plus de gaz russe. En contrepoint, en juin, la Chine, le Kirghizistan et l’Ouzbékistan se sont entendus sur la construction d’une ligne de chemin de fer à 8 milliards d’euros pour mieux connecter les trois pays. Une occasion de développer le commerce avec le voisin chinois pour les deux nations enclavées d’Asie centrale. La coopération avec les autres pays de la région est également en pleine expansion. Le pays renforce également ses liens avec l’Occident, notamment avec l’Union Européenne, par la signature en juillet 2022 d’un accord de partenariat et de coopération, après trois ans de négociations, sur les plans politique, culturel, financier et juridique.