La demande interne comme principal moteur de la croissance
Après avoir connu un net ralentissement économique en 2023, les perspectives de croissance sont vues à la hausse pour 2024. Elles sont soutenues, d’abord, par une reprise de la demande domestique. Le déclin de la population active gonflera, une fois de plus, les salaires réels, et par là même, le pouvoir d’achat des ménages. Cependant, les transferts sociaux (2,7% du PIB en 2023), initiés en 2022 et prolongés sur 2024, seront revus à la baisse compte tenu d’une hausse des prix à la consommation attendue en nette diminution. Parallèlement, l’investissement privé atteindra un niveau record en raison, d’abord, du soutien financier apporté par le Plan National de Relance et de Résilience (PNRR, 2021-2026). Ce programme vise à remédier aux faiblesses systémiques de l’économie bulgare (transition énergétique, digitale et écologique) à l’aide de subventions provenant de fonds européens (FRR, Fond de Relance et de Résilience, montant estimé à 6,9 milliards d’euros, soit 8% du PIB de 2022 sur la période 2021-26) et nationaux (3,5 milliards d’euros dont 1/3 de fond public). L’investissement pourrait être aussi redynamisé par un moindre coût du crédit en seconde partie d’année. La Banque Centrale Bulgare (BNB), qui maintient l’ancrage du lev à l’euro (1,96 BGN par euro), s’aligne sur les taux directeurs de la BCE. Toutefois, des tensions inflationnistes pourraient ternir ces perspectives économiques favorables. En novembre 2023, le gouvernement a officiellement avancé, de décembre à mars 2024, la date à laquelle prend fin la dérogation octroyée par la Commission Européenne, lui permettant exceptionnellement d’importer du pétrole russe par voie maritime. L’arrêt soudain de ces livraisons obligera la principale raffinerie des Balkans, propriété de Lukoil, à fonctionner avec du pétrole non russe, largement plus couteux à importer et potentiellement plus difficile à traiter. Cette hausse des coûts pourrait se reporter sur les perspectives d’inflation de 2024, alors même que le pays sort d’une période particulièrement difficile (13% d’inflation annuelle en automne 2022). Quoi qu’il en soit, sauf nouveau choc externe sur l’offre de pétrole et de produits alimentaires, l’inflation devrait poursuivre sa tendance baissière en 2024, mais restera encore au-dessus du critère de Maastricht, ce qui pourrait retarder l’entrée dans la zone euro pour 2025. Par ailleurs, malgré les engagements du PNRR, la production d’électricité nationale reste encore largement dépendante du charbon (30% en 2022), du pétrole (26%), du gaz naturel (11%) et du nucléaire (18%), dont les deux seuls réacteurs en service fonctionnent au combustible russe. Néanmoins, le recours aux énergies renouvelables (11% de sa production énergétique en 2022) et la fourniture d’électricité d’origine nucléaire française et suédoise, à partir de la deuxième moitié de 2024, devrait partiellement y remédier. Dans le même temps, les exportations (27% du PIB en 2022) participeront positivement à la croissance, et seront légèrement tirées vers le haut par une reprise économique lente de ses principaux partenaires commerciaux d’Europe occidentale (Allemagne, Roumanie, Italie) et par un effet de base favorable, dû aux faibles performances de 2023. De même, la secteur touristique continuera de progresser en 2024, ayant déjà dépassé en 2023 son niveau pré-covid.
En marche vers l’accession à l’UEM
Contrairement à 2022, le solde de la balance courante est redevenu légèrement excédentaire en 2023. L’excédent commercial a de nouveau affiché une performance positive en raison d’une croissance plus lente des importations, grâce aux stocks accumulés de produits pétroliers et de métaux avant la guerre en Ukraine, que des exportations, pourtant ralenties par la faible demande européenne et l’embargo européen interdisant les exportations de produits issus du pétrole russe au sein de l’UE. Cependant, le solde commercial sera à la limite de redevenir déficitaire en 2024, le niveau des importations se réhaussant avec l’arrivée à terme de ces stocks et la reprise de la demande domestique. En revanche, le surplus de la balance des services s’est renforcé en 2023, et devrait continuer de s’améliorer en 2024, aidé par l’essor de l’activité touristique et des termes de l’échange favorables. En outre, le l’excédent du compte des revenus secondaire a été renforcé par les transferts des subventions européennes. Le déficit du compte des revenus primaires s’est creusé, la récession économique ayant encouragé les entreprises étrangères à rapatrier leurs bénéfices plutôt qu’à les réinvestir. Le compte capital et le compte financier ont été alimentés par le rebond encourageant des flux d’IDE et la nette augmentation des investissements de portefeuille, qui ont tous deux doublé entre 2022 et 2023. Les réserves en devises étrangères (couvrant 6 mois d’importation à décembre 2023) sont suffisantes pour faire face à tout choc extérieur et assurer l’ancrage à l’euro. La dette externe a conservé sa tendance décroissante en 2023 pour représenter 44,4 % du PIB en octobre 2023. 75% de cette dette est due par le privé, parmi lesquels les prêts dans le cadre d’IDE et prêts intragroupes participent à hauteur de 46% de cette part.
Sur le plan budgétaire, le déficit public s’est amplifié en 2023, tout en restant en dessous du seuil des 3%. Le niveau de recettes publiques, bénéficiant pourtant d’une hausse de la consommation, des prix et donc du produit de la TVA, n’aura pas été suffisant pour compenser la croissance des dépenses budgétaires, gonflées par l’augmentation des salaires réels, des retraites (cumulant à eux deux 4% du PIB de 2023) et des subventions énergétiques (0,8% du PIB de 2023). En 2024, le déficit public devrait stagner. Malgré la réduction progressive des mesures de soutien énergétique et l'augmentation des recettes publiques à travers à la hausse du taux d'imposition minimum, le déficit de 2024 persistera. Le poids de la dette publique, après avoir reculé en 2023, s’accroitra légèrement en 2024. Les perspectives d’euroïsation pour 2025 rendent son faible poids d’autant plus soutenable. En effet, en 2020, la Bulgarie a rejoint le mécanisme de change européen 2 (MCE II), lui octroyant une période de transition minimale de 2 ans pour atteindre les critères d’entrée dans la zone euro. Mise à part un niveau d’inflation encore élevé, à la suite du cumul des crises pandémique (2020) et énergétique (2022), la Bulgarie, jusqu’ici, répond à tous les autres critères de Maastricht (déficit public, dette publique, taux d’intérêt et taux de change).
Un début de stabilité gouvernementale dont la longévité reste à prouver
Après deux années consécutives de crise politique et sociale profonde, marquées par l’organisation de cinq scrutins législatifs et tentatives infructueuses de coalition entre 2021-2023, la situation politique bulgare semble enfin se stabiliser. A la suite des élections législatives de juin 2023, le parti de centre-droite, Citoyens pour le développement européen de la Bulgarie (GERB), et le parti libéral, Nous continuons le changement – Bulgarie démocratique (PP-DB) se sont finalement entendus pour former un gouvernement autour du premier ministre Nikolaï Denkov (du parti PP-DB). Leur large majorité parlementaire (168 sièges sur 240, dont 36 sièges apportés par le parti Mouvement des droits et libertés, représentant la minorité turque) et leur positionnement commun pro-européen devraient favoriser la stabilité gouvernementale nécessaire à l’adoption des réformes de l’agenda gouvernemental. L’aspiration à une adhésion complète à l’espace Schengen et à la zone euro d’ici 2025 profitera de cette nouvelle entente politique. Dans ce contexte, la révision constitutionnelle vise à aligner le système judiciaire sur les recommandations internationales, incluant la création d’un mécanisme de contrôle judiciaire sur le procureur général. De même, en réponse au comportement du président élu en 2021, Rumen Radev, une partie de la proposition constitutionnelle cherche également à restreindre le pouvoir présidentiel en période de crise afin d’éviter tout abus. En revanche, la Bulgarie accumule un certain retard sur ses plans de décarbonation, alors même que la diversification énergétique reste un enjeu de taille. En janvier 2023, le gouvernement bulgare et la Commission européenne ont entamé des négociations en vue d’assouplir l’engagement de la Bulgarie de réduire de 40% les émissions carbone de sa production électrique d’ici 2025. Cette procédure de renégociation a eu pour conséquence de retarder les versements européens au titre du PNRR jusqu’à la fin de 2023. Au niveau des ménages, également, le Green Deal européen ne fait pas l’unanimité. En fin d’année 2023, les mineurs ont manifesté contre les plans de fermeture des centrales de charbon et des mines. Quoi qu’il en soit, les divergences idéologiques entre les deux partis de la coalition mettront à l’épreuve la stabilité gouvernementale fraichement acquise. En effet, le PP, se désignant comme un parti anti-corruption, a été créé en 2021 comme alternative au GERB, impliqué dans de nombreuses pratiques de corruption. Les deux partis se sont accordés pour lutter contre la corruption. Néanmoins, la méfiance mutuelle les a amenés à confier le poste de premier ministre alternativement à chaque parti tous les neuf mois. Le premier changement, prévu en mars 2024, avec passage de Denkov du PP-DB à Mariya Gabriel du GERB, pourrait fragiliser cet équilibre.
Sur le plan extérieur, le nouveau gouvernement bulgare a adopté une position plus ferme à l’égard de la Russie. L’Ukraine profitera d’un soutien bulgare étendu, notamment au niveau de la formation de son personnel médical et de l’aide militaire (obus, munitions). Par ailleurs, la Bulgarie aspire toujours rejoindre la zone euro et l’espace Schengen. En décembre 2023, après 12 ans de négociation, les 27 ont finalement accepté de lever le contrôle aux frontières aériennes et maritimes internes à l’UE à partir de mars 2024. En effet, l’Autriche a fini par lever son véto en échange de garanties (lutte contre l’immigration clandestine), mais maintient, pour le moment, son opposition à l’ouverture des frontières terrestres. Vienne avait refusé l’entrée de la Bulgarie jusqu’en 2022, pour protester contre une arrivée significative d’immigrants clandestins sur son territoire. Enfin, la Bulgarie a multiplié les contrats internationaux pour s’émanciper de l’énergie russe. Déjà en octobre 2022, le gazoduc gréco-bulgare avait été mis en service, permettant à la Bulgarie d’être approvisionnée en gaz non-russe. De plus, à compter de janvier 2024, la Bulgarie aura remplacé ses importations de pétrole russe par du brut en provenance de Tunisie, du Kazakhstan et d’Irak. Enfin, pour sécuriser l’accès à la mer Noire et les exportations de céréales ukrainiennes, la Turquie, la Roumanie et la Bulgarie se sont accordées sur la création d’une force maritime en janvier 2024, dédiée au déminage.