Une croissance encore affectée par un contexte politique, social et climatique incertain
L’activité économique devrait rebondir en 2024, après une croissance anémique en 2023, à la suite des graves perturbations politiques, sociales (violentes manifestations réprimées dans le sang) et météorologiques. La consommation des ménages (66% du PIB) devrait redynamiser la croissance, sous réserve d’une poursuite de la désinflation, du fait du relâchement des conditions de crédit depuis octobre 2023 (taux d’intérêt de référence à 7,25%) et de la prolongation du plan de relance économique Con Punche Perú (1,2% du PIB de 2023). Ce programme repose sur le lissage de la consommation des ménages à faibles revenus à l’aide de transferts monétaires et de subventions, ainsi que sur la stimulation de l’investissement public par l’attribution de fonds aux autorités régionales. L’accélération (depuis octobre 2023) des partenariats publics-privés pour les marchés de travaux publics, notamment de ceux réalisés en échange de crédits d’impôts, va dans le même sens. Toutefois, cet activisme se heurtera à la confiance limitée des investisseurs privés, inquiets des désordres sociaux et politiques, ainsi qu’aux capacités limitées des pouvoirs régionaux. Si les tensions sociales devraient moins peser sur l’activité minière et touristique qu’en 2023, les conditions climatiques risquent d’être encore défavorables en 2024. La survenance d’un phénomène El Niño fort (probabilité de 35%), affectant aussi les secteurs halieutique et agricole, ajoutée à un ralentissement de l’économie chinoise, principale destination des exportations, tireraient les performances économiques vers le bas. Néanmoins, les exportations soutiendront la croissance, avec un prix du cuivre plus que favorable, et l’extension de la mine de cuivre de Quellaveco, achevée en mi-2023. La construction participerait positivement à la croissance au vu de l’initiation de projets miniers de taille moyenne (Corani et Antamina pour le zinc et l’argent, et Toromocho pour les mêmes ajoutés au plomb et au cuivre).
Des déficits jumeaux bénins
Le déficit de la balance courante a reculé en 2023, notamment en raison d’un excédent commercial résilient. Le ralentissement de la demande intérieure, ainsi que la baisse des prix de l’énergie et de l’alimentation ont fait que les importations ont augmenté moins vite que les exportations, dynamisées par un secteur minier en expansion (13,3% du PIB). La balance courante devrait voir son déficit augmenter légèrement en 2024, face à la pénurie d’engrais, malgré le recours accru aux engrais organiques, notamment à base de guano récupéré sur les îles côtières, aux atteintes climatiques (El Nino) et à la reprise de la demande domestique. En outre, le déficit des revenus primaires s’est creusé en 2023 avec l’augmentation des bénéfices des entreprises étrangères, tandis que le niveau record d’envois de fonds des travailleurs péruviens à l’étranger (hausse de 19,2% par rapport à 2022) a soutenu le surplus du compte des revenus secondaires. La réduction du coût du fret maritime et des tensions sociales, affectant la région touristique du Cusco, fera reculer et converger le déficit des services vers son excédent prépandémique. La lente reprise des flux d’IDE (tombés à 3% du PIB en 2023), favorisée par un regain modéré de confiance chez les investisseurs, couvrira largement le déficit courant, tout en alimentant les solides réserves de change (30% du PIB 2023 et équivalent à 12 mois d’importation), consolidées par l’arrangement avec le FMI en mai 2022 (ligne de crédit de précaution de 5,4 milliards). C’est amplement suffisant pour lutter contre d’éventuels vents contraires extérieurs. La dette externe totale (pour 56% due par le privé), devrait poursuivre sa tendance baissière en 2024 (38% du PIB en 2024). Sur le plan budgétaire, le déficit s’est un peu amplifié en 2023, tout en restant conforme à la règle budgétaire le plafonnant à 2,4, et devrait diminuer en 2024. La réduction des recettes publiques, conséquence de la baisse de régime de l’activité économique nationale, n’a pas permis de compenser la croissance des dépenses, pressionnées par Con Puche Perú et par des subventions visant à réparer les dégâts économiques d’El Niño. Néanmoins, la suppression de ces dépenses fiscales, les prix miniers élevés et la croissance de la demande intérieure, devraient alléger le déficit public en 2024-2025. Enfin, le modeste poids de la dette publique (87% en dollars et 11% en euros) se stabilisera. La dette publique reste très majoritairement détenue par des créanciers privés (84%).
Vie politique et sociale agitée
Alors même que le Pérou sort d’une des crises sociales et politiques les plus graves qu’il ait connues depuis des décennies, à la suite de l’échec de l’auto-coup d’Etat du président Pedro Castillo en décembre 2022, Dina Boluarte, sa vice-présidente parvenue à la présidence après la destitution et de l’emprisonnement du précédent, parvient tout de même à assurer un certain niveau de stabilité politique. Malgré son impopularité record (12% d’opinions favorables en Juillet 2023), l’intensité des manifestations anti-gouvernementales s’est réduite par rapport à celles de décembre 2022-février 2023 en raison de la fatigue des manifestants et de l’efficacité de la répression exercée. La décision de la présidente d’officialiser son repositionnement politique à droite, par le biais de son alliance avec les partis centristes et de droite au Congrès, est censée la protéger de toute tentative de l’opposition de gauche de la destituer avant la fin de son mandat prévue en avril 2026. Toutefois, rien ne nous certifie que Boluarte finira son mandat, notamment en cas de nouvelle escalade des tensions politiques et sociales. Des salaires réels stagnants, des conditions climatiques défavorables hors normes et l’irritation populaire face au désordre politique peuvent susciter de nouveaux troubles sociaux, La fragmentation de l’environnement politique, entretenue par une multiplicité de petits partis politiques et par un manque de loyauté, fragilise l’alliance autour de la présidente. La confrontation entre celle-ci, nouvellement de droite, et les penchants populistes du Congrès pourrait s’intensifier à l’approche des élections générales de 2026. Cependant, en cas de démission ou de destitution, ce qui n’est pas improbable, puisque quatre présidents ont été éconduits du pouvoir depuis 2018, la présidence reviendrait au président du Congrès qui serait constitutionnellement tenu d’avancer les élections générales dans les 6 mois suivants. Ceci peut rafraîchir les ardeurs des parlementaires, soucieux de conserver leur siège le plus longtemps possible, d’autant qu’ils ne peuvent se représenter à un second mandat.Sur le plan extérieur, le Pérou maintiendra ses accords de libre-échange et ses bonnes relations avec les puissances chinoise et étasunienne. Des tensions diplomatiques persisteront avec les gouvernements de gauche argentin (sauf retournement politique), brésilien, chilien, colombien et mexicain ne reconnaissant que Castillo comme président légitime.