Distinguo entre pâte à papier en amont et produits en papier en aval
L’industrie papetière comprend la production de pâte à papier et sa transformation en emballages à base de papier, papier graphique et articles d’hygiène en papier. Les entreprises papetières opèrent en amont (pâte à papier), en aval (produits en papier) ou tout au long de la chaîne de valeur (intégration verticale). L’industrie est principalement locale ou régionale en raison des coûts élevés de transport associés à la nature volumineuse et lourde des produits en papier, ce qui rend la production et la distribution locales plus économiques. Les entreprises papetières intégrées verticalement contrôlent plus des deux tiers de la production mondiale de pâte à papier, les usines de pâte étant situées à proximité des usines de papier pour des raisons d'efficacité. Le tiers restant, la pâte dite marchande, est vendu sur les marchés internationaux pour répondre aux besoins des pays déficitaires en ressources forestières et des entreprises opérant uniquement en aval. Bien que les prix de la pâte à papier varient entre les régions en raison des différences de qualités, de propriétés et de coûts d’exploitation, ils ont tendance à suivre des schémas similaires dans toutes les grandes régions productrices. La Chine concentrant près du tiers de la production de produits en papier, le pays est le principal moteur du marché mondial de la pâte.
La reconstitution des stocks de pâte à papier ravive la demande et les prix, mais les défis persistent
L'industrie mondiale de la pâte à papier a connu des variations de la production et des prix sans précédent depuis la pandémie. La production de pâte a augmenté lors de la première vague de la pandémie de Covid-19 en 2020 (+4 %) avant de se contracter en 2021 (-2 %) et de se stabiliser en 2022 (+1 %). En 2023, la production a reculé de manière marquée (-6 %), seuls la Chine (+8 %) et le Chili (+9 %) affichant une croissance. Inversement, les volumes ont diminué en Amérique du Nord (-6 % aux États-Unis, -12 % au Canada), en Europe (-14 % en Allemagne, -13 % en Finlande, -8 % en Suède, -10 % au Portugal), au Brésil (-4 %) et au Japon (-6 %). Ces dix marchés représentent ensemble environ 80 % de la production mondiale de pâte à papier.
L'année 2023 a marqué un retour à une certaine normalité avec une production revenant à ses niveaux prépandémiques, la consommation des ménages ayant ralenti ou reculé sur la plupart des marchés clés, et les entreprises papetières en aval ayant réduit leurs commandes pour s’adapter à la baisse de la demande et écouler les stocks de pâte à papier. La production de pâte à papier atteint son point le plus bas vers le milieu de l'année, les producteurs ayant réduit leurs capacités. Cela s'est traduit par une contraction moyenne des prix de la pâte de 9 % en 2023, avec des baisses oscillant entre 5 % (États-Unis, Suède) et 22 % (Chine). Sous le double coup de prix et de volumes en baisse, le chiffre d'affaires des principales entreprises de pâte à papier a reculé de 10 % à 20 %. Avec l’amélioration des prix et de la production au second semestre de l'année, le marché a commencé à montrer des signes de reprise. Conformément à la tendance observée au second semestre 2023, la production de pâte est revenue en territoire positif dans tous les grands marchés, sauf au Japon, au premier semestre 2024. Cela laisse entrevoir une croissance annuelle d'environ 5 %, la reconstitution des stocks étant à l’origine d'une grande partie de la demande. Parallèlement, les prix moyens de la pâte devraient croître d'environ 5 à 10 % et rester environ 20 % au-dessus de leurs niveaux prépandémiques. En tenant compte de notre scénario de croissance modérée du PIB mondial (de 2,5 % en 2024 à 2,7 % en 2025), nous anticipons une croissance modérée de la production et des prix de la pâte en 2025.
Cette reprise est particulièrement bienvenue pour les entreprises et les pays perdant du terrain dans le commerce de la pâte marchande, en particulier dans l'hémisphère nord. Alors que exportations mondiales ont augmenté d'environ 1,5 % par an au cours de la dernière décennie, la croissance a été très inégalement répartie. La tendance générale est que les acteurs de l'hémisphère sud, en particulier le Brésil mais aussi l'Indonésie et, dans une moindre mesure le Chili, ont gagné des parts de marché aux dépens de leurs homologues nord-américains et européens. Ces acteurs relativement nouveaux ne se contentent plus de fournir des pays avec des déficits structurels en pâte à papier, tels que la Chine, le Japon et l'Inde, mais luttent également pour des parts de marché en Europe et en Amérique du Nord.
Outre une concurrence intense de la part des producteurs à bas coûts, les fabricants de pâte à papier doivent également composer avec des coûts de l’énergie généralement plus élevés, et plus particulièrement s’ils exploitent des usines sans équipements de cogénération modernes ou s’ils achètent de l'électricité sur le marché de gros. La concentration croissante des entreprises papetières intégrées verticalement, qui sont à la fois clientes et concurrentes, devient également une source de préoccupation, comme en témoigne l'acquisition de DS Smith par International Paper ou celle de West Rock par Smurfit Kappa au premier semestre 2024.
Il est à noter que le Règlement de l'Union européenne sur la déforestation (EUDR), en vigueur depuis le 29 juin 2023, entre progressivement en application en 2024. Ce règlement oblige les entreprises à s'assurer que leurs produits en papier ne proviennent pas de zones déboisées afin d'encourager des pratiques durables dans l'industrie. Bien que positif pour les entreprises disposants des meilleurs politiques d'approvisionnement, il est également susceptible d'augmenter les coûts de conformité, de compliquer la gestion des chaînes d'approvisionnement et de limiter potentiellement l'accès au marché, tant pour les importateurs européens que pour les exportateurs internationaux ne respectant pas la réglementation de l'UE. Ce règlement est la dernière évolution majeure visant à encourager la durabilité au sein de l’industrie papetière.
Produits en papier : rebond des emballages, déclin du papier graphique, articles d’hygiène résilients
L’industrie papetière a produit environ 410 millions de tonnes de produits en papier en 2023, en baisse de 2 % par rapport à 2022. La Chine (+8 %) et l’Indonésie (+3 %) sont les seuls grands producteurs à avoir enregistré une croissance en 2023.
L’emballage à base de papier représente 70 % des volumes de produits en papier. La production est largement alignée sur les tendances de la production industrielle et du commerce international. Le segment a été le principal contributeur à la baisse de la production de biens en papier en raison de la réduction des commandes de la part des industries clientes, conséquence du ralentissement de la consommation des ménages et des échanges internationaux. Les principaux fabricants d'emballages en papier, qui sont pour la plupart des entreprises intégrées verticalement en Europe, aux États-Unis et au Japon, ont presque tous fait état d’une baisse à deux chiffres de leurs chiffres d’affaires en 2023. Toutefois, la demande pour les papiers d'emballage se redresse progressivement depuis le second semestre de 2023, principalement stimulée par le réapprovisionnement des industries clientes.
Représentant 20 % des volumes de produits en papier, le papier graphique a atteint son point haut en 2007 et décline continuellement depuis, avec une production en baisse d'un tiers au cours de la dernière décennie. La diminution du lectorat des journaux imprimés et la réduction de la consommation de papier d'impression en raison de la numérisation de l'économie sont des tendances puissantes et structurelles, et les données de production, lorsqu'elles sont disponibles, montrent que 2023 n'a pas fait exception à cette tendance. Les résultats financiers des principaux producteurs indiquent une baisse générale du chiffre d'affaires d'environ 10 %. Pour les spécialistes des papiers graphiques, la priorité est double : éliminer les d'usines dans les économies développées à un rythme de 3 % à 6 % par an, et trouver des marchés de niche plus rentables et viables. Cependant, la conversion des lignes de production du papier graphique vers l'emballage pourrait accroître les surcapacités dans ce marché adjacent.
Parce qu’il s’agit essentiellement d’une dépense non-discrétionnaire, les articles d’hygiène (10 % des volumes de produits en papier) sont relativement moins dépendants des aléas du cycle économique. La consommation par habitant est fortement corrélée aux niveaux de revenu des ménages : la production mondiale a augmenté de 25 % au cours de la dernière décennie, principalement stimulée par la Chine (+44 %), le Brésil (+35 %), le Mexique (+22 %), la Pologne (+70 %) et l'Inde (+290 %). Les articles d’hygiène en papier forment un marché bien à part dans l’industrie papetière car ils sont principalement des biens de consommation vendus par le biais de la grande distribution. Les principaux producteurs, tels que Kimberly Clark, Oji Paper, Essity, Unicharm, Hengan International et Ontex, ont tous enregistré une performance supérieure à la moyenne de l’industrie papetière, la majorité d'entre eux ayant enregistré une hausse de leurs ventes et des marges brutes en amélioration grâce à la baisse des prix de la pâte à papier.
Nous anticipons, pour 2024 et 2025, la poursuite des tendances de long terme positives pour le segment des articles d’hygiène en papier et négatives pour le segment du papier graphique. Le segment des emballages en papier devrait quant à lui bénéficier d'une accélération modérée de la croissance du PIB mondial et d'une reprise plus large de l'activité manufacturière.