Une activité tirée par la consommation, mais fragilisée par le durcissement américain
Sous l’effet du rehaussement des droits de douane des États-Unis, à partir d’août, et du durcissement de leur politique migratoire, la croissance ralentit en 2025. La vigueur des envois de fonds en provenance des États-Unis observée au premier trimestre, causée par l’inquiétude des émigrés nicaraguayens, ne devrait pas se maintenir sur le reste de l’année.
En 2026, l’activité devrait de nouveau ralentir, et même davantage, car les facteurs de décélération, déjà à l’œuvre en 2025, joueront pleinement. Certes, la consommation privée (70 % du PIB) restera son principal moteur. Elle bénéficie d’une inflation modérée, dans le haut de la fourchette cible (3 +/- 1%) fixée par la Banque Centrale du Nicaragua (BCN). Dans le sillage de la Réserve fédérale américaine (Fed), la BCN a abaissé son taux directeur à trois reprises depuis fin 2024, pour le fixer à 6,25 % en janvier 2025, tout en maintenant un différentiel positif avec la Fed. La BCN devrait poursuivre, tout comme la Fed, son desserrage, avec de nouvelles baisses d’ici la fin de 2025 et au début de 2026. Les envois de fonds (26,6 % du PIB en 2024), dont 82,6 % en provenance des États-Unis, continueront de soutenir la consommation. Néanmoins, les remises d’expatriés pourraient diminuer sous l’effet du durcissement de la politique migratoire américaine : d’abord, par la mise en place d’une taxe américaine de 1 % sur les transferts non bancaires à partir de janvier 2026 ; ensuite, par la révocation du statut de résident temporaire légal pour 532 000 ressortissants originaires d’Amérique centrale, dont le Nicaragua ; enfin par la sécurisation de la frontière avec le Mexique. Le pays compte plus d’un million de ressortissants aux États-Unis, dont près de 300 000 illégaux. De son côté, l’investissement public poursuivra sa progression, notamment dans le cadre du Programme d’investissement public (8,1 % du PIB en 2025), ce qui soutiendra la construction. Les investissements étrangers en provenance des États-Unis et d’autres pays occidentaux resteront modérés, pénalisés par la médiocrité de l’environnement des affaires. Les autorités renforceront les liens avec la Chine, qui finance des projets, comme la transformation d’un aéroport militaire en terminal civil (400 millions USD), des centrales solaires, ou encore des autoroutes. Néanmoins, la consommation publique restera limitée par la rigueur budgétaire, qui se traduit, notamment, par des réductions d’effectifs de fonctionnaires et la concentration des dépenses sur les aides aux entreprises exportatrices et aux rapatriés des États-Unis.
Alors que les États-Unis représentaient 52 % des exportations nicaraguayennes en 2024 (1er client), le pays affronte, depuis août 2025, des droits de douane de 18 %. Plusieurs secteurs sont exposés, dont l’habillement (20 % des exportations totales), le Nicaragua étant le deuxième fournisseur des États-Unis parmi les pays du CAFTA-DR. Les exportations de câblage électrique pour l’industrie automobile (10 %), de produits bovins (10 %) et de cigares haut de gamme (6,3 % du total, dont 78 % à destination des E.U.) seront aussi sous pression. Une perte de compétitivité par rapport aux voisins soumis à des droits moins élevés est à craindre. À cela s’ajoute la menace américaine d’une expulsion du Nicaragua de l’accord de libre-échange CAFTA-DR. Enfin, le secteur touristique restera sous-développé, en raison des réticences du pouvoir et de l’environnement local des affaires dissuasif pour les investisseurs.
Des comptes publics corrects et une position extérieure confortable
Le régime maintient une politique budgétaire stricte, à la fois contraint par le niveau élevé d’endettement public et l’accès réduit aux financements internationaux, et voulue pour préserver une marge de manœuvre en cas de détérioration de la relation avec les États-Unis. Cette rigueur a permis de dégager des excédents budgétaires depuis 2022, soutenue par la croissance robuste. Pour 2025, le budget prévoit 4,3 milliards USD de recettes (20,8 % du PIB, + 14,5 % par rapport à 2024) et 4,2 milliards USD de dépenses (20,2 % du PIB), avec une augmentation marquée de l’investissement (+ 36,7 %) expliquant la réduction modérée du surplus budgétaire attendue en 2025 et 2026. Les dépenses sont majoritairement allouées à la santé (17 %), l’éducation (12 %), les infrastructures (13 %) et la sécurité (10 %). À cela s’ajoute le maintien de l’effort en faveur des programmes sociaux. Le gouvernement devrait continuer à recourir aux réductions d’effectifs. De plus, entre janvier et avril 2025, les recettes ont progressé de 15,4 %, tirées par la meilleure collecte fiscale. Néanmoins, leur dynamique devrait être freinée par le recul des envois de fonds attendu en 2026.
La trajectoire descendante du ratio d’endettement se maintiendra, grâce aux excédents primaires et à une croissance modérée. La quasi-intégralité de la dette publique est libellée en dollars américains (93 %), la rendant sensible au risque de change, toutefois atténué par les réserves internationales solides et un régime de change fixe. Sa part extérieure (85 % du total en 2024) demeurera très majoritairement contractée à des conditions concessionnelles. Environ 78 % sont détenus par des créanciers multilatéraux, dont la Banque interaméricaine de développement (28 % fin 2023), la Banque centraméricaine d'intégration économique (27 %) et la Banque mondiale (11 %). Toutefois, l’accès aux marchés internationaux demeurera quasiment impossible, tandis que les financements en provenance des organismes multilatéraux pourraient progressivement s’amenuiser sous la pression américaine.
Du point de vue des comptes extérieurs, le surplus courant augmentera en 2025, alimenté par la hausse des envois de fonds (+ 11,9 % entre janvier et avril 2025) et des cours de l’or (18 % des exportations totales en 2024), dont l’extraction continue de croître. Cependant, il pourrait se réduire en 2026, sous les effets combinés d’une demande américaine affaiblie, de la hausse des droits de douane par Washington et de la diminution des remises d’expatriés. Par ailleurs, le sous-investissement, la pénurie de main-d'œuvre causée par l'émigration massive et les aléas climatiques, pénaliseront des secteurs clés, comme le café (7 % des exportations totales en 2024). L’excédent courant continuera d’alimenter les réserves de change, qui s’élevaient à 6,7 milliards USD en avril 2025, couvrant six mois d’importations. Cela devrait suffire à maintenir l’ancrage du cordoba au dollar.
Consolidation d’un régime autoritaire de plus en plus isolé
Le Nicaragua est présidé par Daniel Ortega depuis janvier 2007, et son épouse, Rosario Murillo, est officiellement coprésidente depuis janvier 2025. Leur parti, le Front Sandiniste de Libération Nationale (FSLN, les sandinistes), détient 76 des 92 sièges de l’Assemblée nationale. Le couple concentre les pleins pouvoirs au sein d’un régime marqué par la répression des opposants, l’éradication de la société civile organisée et la neutralisation des contre-pouvoirs. Les élections générales, reportées à novembre 2027, ne devraient pas permettre d’alternance. Sur le plan intérieur, le régime poursuit sa stratégie de contrôle, illustrée par une réforme constitutionnelle adoptée en janvier 2025. Elle vise à renforcer le pouvoir exécutif, via la prolongation du mandat présidentiel (6 ans contre 5 ans auparavant), la création du poste de coprésidente qu’occupe R. Murillo, et la fin de l’indépendance des pouvoirs législatif et judiciaire. Cela s’est accompagné de la révocation du statut juridique de milliers d’ONG, de la privation de citoyenneté pour des centaines de dissidents (dont certains réduits à l'apatridie), ou encore du retrait du Conseil des droits de l’homme de l’ONU en février 2025. Les Ortega poussent à l’exode des contestataires, principalement vers les États-Unis et le Costa Rica. Cependant, une partie de ces réfugiés pourrait être renvoyée au Nicaragua en raison du durcissement de la politique migratoire américaine.
L’isolement international se renforce. Des sanctions européennes contre des hauts responsables sont en vigueur depuis octobre 2019, et ont été prolongées jusqu’au moins octobre 2025. Des sanctions ciblées ont aussi été imposées par les États-Unis, notamment par la loi Renacer de 2021, autorisant des mesures économiques et diplomatiques contre les membres du régime ou encore la suspension de prêts multilatéraux. Renacer ouvre également la voie à une exclusion du Nicaragua de l’accord de libre-échange CAFTA-DR. Le régime reste insensible à ces sanctions qui touchent peu l’économie. Les tensions avec les États-Unis se sont accentuées avec la reconnaissance des talibans en Afghanistan, la rupture des relations avec Israël, et les mesures américaines visant à restreindre les flux migratoires.
En parallèle, les Ortega renforcent leurs alliances avec la Russie et la Chine. Un accord bilatéral avec Moscou prévoit une protection juridique mutuelle des dirigeants, tandis que des discussions portent sur une coopération militaire accrue. Enfin, les liens avec la Chine se sont consolidés depuis le ralliement à Pékin en 2021. L’entrée en vigueur du traité de libre-échange, début 2024, ouvre la voie à une implication chinoise croissante dans des secteurs stratégiques.