Toujours au bord du précipice
L'économie libanaise continuera de subir de fortes pressions malgré une reprise de sa croissance en 2024 grâce à des effets de base favorables, à un rebond du tourisme entrant (estimé à 15 % du PIB en 2024) et à l'afflux de transferts de fonds des expatriés (38 % du PIB à partir de 2022). Toutefois, la croissance de la consommation privée (environ 100 % du PIB), qui contribue traditionnellement le plus au PIB du Liban, restera modérée en raison du manque de confiance et d'une inflation durablement élevée en lien avec la forte dépréciation de la monnaie locale : en août 2023, son taux officiel avait perdu environ 90 % depuis que l'économie a commencé à s'effilocher en octobre 2019, tandis que le taux Sayrafa administré par la banque centrale et utilisé pour les douanes et le taux parallèle étaient environ six fois plus élevés que le taux officiel. L'affaiblissement des anticipations d'inflation pourrait entraîner une nouvelle dévaluation officielle de la livre libanaise. L'étroitesse de l'espace budgétaire pèsera sur la consommation publique (environ 15 % du PIB) et l'investissement (10 % du PIB). La faiblesse des infrastructures (approvisionnement limité en électricité par Electricité du Liban) et un environnement commercial médiocre, dominé par un niveau élevé de corruption perçue et une bureaucratie pesante, auront un impact négatif sur l'investissement privé. Les exportations souffrent de l'instabilité régionale et de difficultés opérationnelles et logistiques persistantes. Les exportations de produits alimentaires et de boissons vers la Syrie restent limitées par une capacité de production restreinte. La crise économique actuelle, d'autre part, exerce une pression sur la demande intérieure qui dépend fortement des importations, évitant ainsi que la contribution négative du commerce extérieur à la croissance ne s'aggrave. La croissance des recettes touristiques devrait être d'environ 10 % en 2024, ce qui est inférieur à la hausse de 25 % estimée pour 2023, en raison des problèmes de sécurité qui pourraient influer sur la décision des touristes étrangers de visiter le pays. L'inflation restera extrêmement élevée en raison de l'absence de politique monétaire efficace et de la hausse des prix des denrées alimentaires (importées). L'incertitude politique qui règne et l'érosion de la confiance augmenteront la dollarisation, alimentant ainsi l'inflation. Le triplement des taxes douanières, des redevances et des droits sur tous les biens importés en mars 2023 - les taxes douanières seront calculées à 45 000 livres libanaises pour un dollar, contre 15 000 livres pour un dollar auparavant - a également accentué les pressions inflationnistes, mais son impact s'estompera progressivement, ce qui ne sera pas le cas pour les pénuries de produits de base. Dans ces conditions, et en l'absence d'unification des taux de change, il est peu probable que la politique monétaire soit en mesure de contrer l'inflation.
Des déficits jumeaux et un stock de dette insoutenables
Le déficit de la balance courante restera important, même s'il devrait se réduire en 2024 en raison d'une baisse de la demande intérieure et d'un gonflement du PIB. L'activité de production limitée pèsera sur les importations de biens intermédiaires et de biens d'équipement. En outre, l'inflation élevée et la pauvreté (qui touche 80 % de la population) pèseront sur les importations de biens de consommation. Toutefois, le déficit des échanges de biens (environ 60 % du PIB) restera le principal facteur du déficit insoutenable de la balance courante, car l'excédent des échanges de services (environ 10 % du PIB) ne peut pas le compenser. Les envois de fonds, qui ont augmenté d'environ 1,5 % en glissement annuel en 2022 pour atteindre 6,4 milliards d'USD, devraient continuer à augmenter étant donné que la crise économique a provoqué un important exode de travailleurs instruits et hautement qualifiés qui ont quitté le pays. Le déficit de la balance courante restera volatile et sera principalement financé par la diminution des réserves internationales de la banque centrale, qui s'élevaient à environ 15 milliards d'USD en mai 2023. Un taux de change insoutenable sur le marché parallèle entraînerait une augmentation des interventions de la Banque du Liban (BdL) sur la plateforme de taux de change Sayrafa qu'elle gère, afin de les maintenir proches l'un de l'autre.
Les résultats budgétaires resteront médiocres en raison de la faible croissance et de l'absence de mise en œuvre des réformes fiscales. La masse salariale continuera à peser sur les finances publiques (environ 25 % des dépenses budgétaires totales). Cependant, en l'absence d'un budget 2023 ratifié, les dépenses fiscales resteront limitées à un douzième du montant annuel alloué dans le dernier budget approuvé par la Banque mondiale. Par ailleurs, en l'absence de réformes de restructuration, la dette publique restera insoutenable.
La fragmentation de la scène politique pèsera sur les réformes
Le Parlement fragmenté, qui est un gouvernement intérimaire depuis les élections de 2022, et l'absence de président continueront à freiner considérablement le processus de réforme. Le fait que la banque centrale soit dirigée par un gouverneur intérimaire continuera à peser sur l'efficacité de la politique monétaire. La dynamique politique du Liban continuera d'être influencée par des puissances régionales telles que l'Iran (par l'intermédiaire de son représentant local, le Hezbollah) et l'Arabie saoudite, ce qui peut exacerber les divisions internes et compliquer les efforts déployés pour trouver des solutions. La situation politique et sécuritaire dans l'ensemble du Moyen-Orient, en particulier dans la Syrie voisine, peut avoir des répercussions sur la stabilité et la sécurité du Liban. Malgré la présence de la Force intérimaire des Nations unies au Liban (FINUL), les tensions récentes à la frontière sud du Liban, liées à l'annexion par Israël de la partie nord du village de Ghajar sur les hauteurs du Golan, pourraient s'aggraver au cours de la période à venir. La présence d'un grand nombre de réfugiés syriens mettra à rude épreuve les ressources et les infrastructures du Liban, ce qui entraînera des troubles sociaux et des difficultés économiques. Le financement insuffisant de la production d'électricité et des importations de denrées alimentaires alimentera également le mécontentement social.