Les droits de douane et l'incertitude exposent l'économie à un risque élevé de récession
À la suite de la guerre commerciale lancée par l'administration Trump, le pari du Mexique sur un modèle de croissance axé sur le marché américain et sur l'attraction des investissements liés au nearshoring apparaît comme une arme à double tranchant. L’adhésion à l’USMCA a permis aux exportations mexicaines de bénéficier d’une certaine protection contre les droits de douane (voir l’exemption sur les droits de douane de la section 232 concernant le contenu USMCA des voitures et des pièces détachées, ainsi que le tarif général de 25 %). Cependant, le boom de l’investissement qu’a connu le pays en 2022-2023 reposait sur l’hypothèse d’un accès préférentiel durable au marché américain. La résolution de cette incertitude dépendra de la rapidité avec laquelle la révision de l’USMCA (prévue pour 2026 mais susceptible d’être avancée) sera menée à bien. Nous prévoyons donc une contraction de l’investissement privé (21 % du PIB) en 2025, avec un rebond timide en 2026, les entreprises adoptant une attitude attentiste. Les exportations devraient suivre une dynamique similaire, et les efforts de consolidation budgétaire devraient entraîner une réduction de l’investissement public. Le flou tarifaire sera particulièrement difficile pour le secteur automobile, pilier de l’industrie manufacturière mexicaine (un cinquième du total) et industrie la plus intégrée régionalement, mais aussi pour les secteurs des métaux et des produits alimentaires. Le secteur de la construction, quant à lui, pâtira de l’arrêt du boom de l’investissement non résidentiel. Bien que le marché du travail aborde le choc tarifaire en bonne santé historique (taux de chômage à 2,5 % en avril 2025), nous anticipons une destruction continue d’emplois, un ralentissement de la croissance des salaires et une réduction du nombre d’heures travaillées.
Les flux de transferts de fonds (4 % du PIB) seront freinés par la répression de l’immigration et le relâchement du marché du travail aux États-Unis, ainsi que par leur éventuelle imposition. Nous prévoyons donc un quasi-arrêt de la consommation des ménages en 2025, avec une reprise progressive en 2026. Dans ce contexte récessionniste et avec une inflation qui continue de se modérer, la Banque du Mexique devrait poursuivre ses baisses de taux en 2026. Nous anticipons prudemment que certaines incertitudes commerciales se seront dissipées d’ici la mi-2026, ce qui, combiné à des conditions financières plus souples, devrait permettre à la reprise de commencer à se dessiner vers le milieu de l’année.
Vulnérabilités extérieures sous contrôle, un retour difficile à la discipline budgétaire
Les déficits budgétaires, comme celui enregistré en 2024 en raison des dépenses préélectorales, envoient un signal préoccupant pour un pays à un cran de perdre sa note de crédit « investment grade ». Pour renforcer sa crédibilité, le gouvernement Sheinbaum a fixé des objectifs ambitieux de consolidation, visant à ramener les déficits à 3 % du PIB d’ici 2027. Des coupes budgétaires importantes sont prévues en 2025 : réduction de 34 % du budget du ministère de la Santé, 44 % pour la Défense. Les mégaprojets d’infrastructure qui ont pesé lourdement ces dernières années (raffinerie de Dos Bocas, train Maya, corridor interocéanique de Tehuantepec) seront achevés ou réduits. Parallèlement, des efforts sont déployés pour améliorer la collecte des impôts grâce à la numérisation. Néanmoins, plusieurs risques pèsent sur le potentiel de réduction du déficit. Le programme industriel « Plan Mexico » vise à stimuler 277 milliards USD d’investissements étrangers (automobile, aérospatiale, semi-conducteurs, électronique, pharmaceutique) d’ici 2030, mais sa forte dépendance aux incitations fiscales pourrait entraîner un dépassement des coûts. De même, les efforts pour répondre aux exigences imprévisibles des États-Unis en matière de sécurité frontalière et de lutte contre le trafic de drogue pourraient limiter les économies possibles dans le domaine de la sécurité. Les dépenses sociales resteront généreuses, et aucune augmentation significative des impôts n’a été proposée. Pemex, l’entreprise pétrolière publique, continuera de nécessiter un soutien de l’État pour rester à flot, représentant un passif conditionnel équivalant à environ 6 % du PIB. Dans l’ensemble, les déficits budgétaires devraient se modérer, mais pourraient ne pas atteindre les objectifs du gouvernement sur plusieurs années, selon la durée de la faiblesse de la croissance du PIB.
Nous devrions également observer un creusement progressif du déficit du compte courant, principalement dû à un déficit accru des marchandises. La baisse des envois de fonds entraînera un affaiblissement de l’excédent des revenus secondaires (3,5 % du PIB). Bien que la croissance des entrées nettes d’IDE (1,5 % du PIB) ait déçu, elle ne montre pas de signes d’effondrement, étant principalement soutenue par la réinvestissement des bénéfices. La composition du financement du compte courant reste donc stable. Les réserves de change couvrent 4 mois d’importations, la dette extérieure est relativement faible (26 % du PIB) et son service est soutenu par une ligne de crédit flexible du FMI (2 % du PIB), à renouveler fin 2026.
Climat des affaires sous pression en raison des incertitudes commerciales et des réformes institutionnelles
Le parti de gauche Morena a consolidé son pouvoir lors des élections générales de 2024, remportant la présidence avec 61 % des voix et une supermajorité de facto au Congrès. La présidente Claudia Sheinbaum succède à son mentor toujours influent, Andrés Manuel López Obrador, et poursuivra la mise en œuvre d’un programme axé sur le développement économique dirigé par l’État, la réduction de la pauvreté et des inégalités par le biais de la redistribution et des réformes institutionnelles. Parmi celles-ci figure la réforme constitutionnelle permettant l’élection des juges au suffrage universel, qui a permis aux magistrats proches de Morena de dominer les élections de juin 2025, où la moitié des sièges étaient en jeu. Les critiques de cette réforme soulignent le risque d’érosion de l’indépendance judiciaire, ce qui pourrait nuire aux intérêts des entreprises si ceux-ci entrent en conflit avec ceux des autorités publiques, et ouvrir la voie à la corruption. De même, des agences de régulation auparavant indépendantes ont été placées sous la tutelle de membres du cabinet, notamment dans les secteurs de l’énergie, des télécommunications et de la concurrence. Le rôle prioritaire de l’État dans le secteur énergétique (exploration, transformation et distribution) continuera d’être défendu. La criminalité omniprésente devient de plus en plus un obstacle pour les entreprises, car elle perturbe les opérations quotidiennes et oblige les entreprises à supporter des coûts supplémentaires en matière d’assurance et de sécurité. Claudia Sheinbaum devrait accomplir un mandat complet jusqu’en 2030, tandis que tous les sièges de la chambre des députés seront renouvelés en 2027.
La prochaine révision de l’USMCA sera déterminante pour façonner l’environnement des affaires dans les années à venir. La libéralisation du secteur énergétique sera probablement un point de friction majeur. Malgré quelques ouvertures à la participation du secteur privé, Morena continue de soutenir une domination étatique à tous les niveaux de la chaîne d’approvisionnement énergétique, tandis que les États-Unis devraient pousser pour une plus grande ouverture au capital privé étranger.
Dans le cadre de l’initiative industrielle « Plan Mexico », le gouvernement a introduit de nouvelles incitations au nearshoring (amortissements fiscaux, exigences d’origine nationale pour les marchés publics), mais la clarification et la stabilisation de la relation commerciale avec les États-Unis seront essentielles pour relancer la dynamique du nearshoring. Pour gagner les faveurs de Washington, on s’attend à une réduction de la dépendance aux importations chinoises.