Croissance tirée par l’investissement
En 2025, tout comme en 2026, la croissance demeurera modérée, inférieure à celle du voisinage balkanique, mais soutenue par un niveau élevé d’investissement public (10% du PIB). Afin de financer les projets d’infrastructures liés aux corridors 8 et 10d, le gouvernement mobilise d’importants financements européens : 700 millions d’euros d’ici 2026 (Global Gateway, BEI, WBIF, IPA III) et un prêt souverain de 110 millions d’euros de la BERD pour les infrastructures à la fois routières et ferroviaires. A ces apports s’ajoutent des financements bilatéraux : un prêt hongrois de 1 milliards d’euros financé par des banques chinoises et acté fin 2024 pour des projets logistiques et de transport, ainsi qu’un accord stratégique avec le Royaume-Uni, en mai 2025, de 6 milliards de livres, couvrant notamment le corridor ferroviaire 10 et les infrastructures de santé. Ces projets devraient avoir un impact direct sur l’activité des secteurs du BTP, des matériaux de construction et de l’ingénierie, tout en soutenant l’emploi dans certaines régions encore marquées par un taux de chômage élevé. Le Corridor 8, qui relie la Bulgarie à l’Albanie via la Macédoine du Nord, s’inscrit dans une logique d’intégration régionale, en lien avec la stratégie européenne de connectivité des Balkans occidentaux. À ce titre, la Macédoine du Nord est le premier pays à recevoir un préfinancement du nouveau Plan de croissance de l’UE, avec 52,2 millions d’euros débloqués dès le printemps 2025.
La consommation des ménages (69% du PIB) continue de soutenir la croissance, dans un contexte de hausse continue des salaires nominaux, notamment dans la fonction publique et les services. Le revenu réel s’est redressé depuis la fin de l’année 2024, appuyé par une augmentation du salaire minimum (+8?% en avril 2025) et une revalorisation exceptionnelle des pensions (+20?% sur l’ensemble de l’année 2024). Néanmoins, l’inflation reste élevée (4,5% en juin 2025), malgré les mesures gouvernementales de contrôle des prix alimentaires. Jusqu’à présent, la banque centrale de Macédoine du Nord a adopté une approche prudente dans son cycle d’assouplissement monétaire, réduisant ses taux plus lentement que la Banque centrale européenne (BCE). Toutefois, les pressions inflationnistes devraient progressivement s’atténuer d’ici la fin de l’année 2025, ouvrant la voie à une amélioration des conditions monétaires en 2026. Ce contexte plus favorable devrait stimuler l’investissement privé, tant du côté des ménages que des entreprises.
L’activité industrielle (25% du PIB) est concentrée dans les Zones économiques spéciales à vocation exportatrice et spécialisée dans l’assemblage de composants automobiles, le câblage électrique et l’électronique. Elle est fortement exposée à la demande européenne. L’Allemagne représente à elle seule plus de 40?% des exportations totales, principalement dans le secteur automobile. Les incertitudes commerciales sont élevées, notamment en lien avec les droits de douane américains. La dynamique des exportations devrait donc rester soumise à des facteurs exogènes, et leur contribution à la croissance sera probablement limitée en 2025. Néanmoins, elles pourraient retrouver des couleurs en 2026 sur fond de relance industrielle allemande.
Les déficits jumeaux sous tensions
Le déficit budgétaire restera élevé en 2025/2026, en raison de recettes fiscales limitées, affectées à la fois par l’importance de l’économie informelle et par un faible taux d’imposition (10 %). Les recettes ne devraient s’améliorer que marginalement, tandis que le gouvernement reste contraint par des dépenses courantes élevées, notamment en raison de la hausse des salaires et des retraites dans le secteur public, ce qui réduit la marge de manœuvre budgétaire. Malgré l’engagement du nouveau gouvernement à réduire le déficit, les objectifs restent en décalage avec le plafond légal (3%) : le déficit public est attendu autour de 4,5 % du PIB en 2025, avec peu de marge pour tendre à la baisse en 2026. La contrainte majeure reste le poids croissant de l’amortissement de la dette dont 60% est libellée en euros. Cependant, l’ancrage à l’euro et le fait que 45% soit dû à des créanciers bilatéraux et multilatéraux minorent le risque considéré comme modéré par le FMI. En 2026, un eurobond de 700 millions d’euros arrive à échéance, représentant à lui seul près de 7 % du PIB. Son refinancement sur les marchés, ou son éventuel rachat partiel dès 2025, constituera un test clé de la crédibilité budgétaire et de l’accès au financement externe du pays. À court terme, les réserves de change (plus de 4 mois d’importations) et la ligne de repo de la BCE assurent une couverture suffisante. Mais le maintien de la stabilité externe repose de plus en plus sur des engagements conditionnels : tout retard dans les réformes promises à Bruxelles ou toute crispation politique interne ferait peser un risque de réévaluation par les créanciers.
Sur le volet extérieur, avec un déficit commercial structurel équivalent à près de 20% du PIB, le compte courant restera déficitaire malgré l’afflux des transferts d’expatries (15% du PIB) : les importations d’équipements et d’énergie restent soutenues, tandis que les exportations peinent à décoller dans un contexte européen atone. En 2026, un effet positif est toutefois attendu du redémarrage de la demande industrielle allemande, qui pourrait relancer les carnets de commandes dans l’automobile et l’électronique, limitant ainsi l’aggravation du déficit commercial. Le financement du déficit courant est surtout assuré par les IDE.
Stabilité politique néanmoins marquée par l’incertitude de l’agenda européen
Le gouvernement issu des élections de mai 2024 repose sur une coalition dominée par le VMRO-DPMNE, formation nationaliste de droite qui détient 58 sièges sur 120. Il s’appuie sur deux partenaires : le parti ZNAM, nouvelle formation de centre-gauche à tonalité nationaliste, et la coalition albanaise Vlen, qui regroupe plusieurs petits partis représentant la minorité albanaise. Ensemble, la coalition contrôle 75 sièges, soit une majorité confortable. Dans cette configuration, l’exécutif dispose d’une marge de manœuvre parlementaire suffisante pour assurer la stabilité politique à court terme. Aucun scrutin national n’est prévu avant les législatives de mai 2028, et le gouvernement devrait être en mesure de mener son mandat à terme sans remise en cause institutionnelle majeure.
Cette stabilité ne garantit toutefois pas une progression rapide sur le plan européen. Le refus du VMRO-DPMNE de procéder à la révision constitutionnelle exigée par Sofia pour reconnaître la minorité bulgare bloque l’ouverture formelle des chapitres de négociation avec l’UE. Ce gel pourrait se prolonger au-delà de 2025, tant qu’aucun compromis politique interne n’est trouvé. Le risque est alors celui d’un ralentissement du rythme de réformes et d’une perte d’élan dans l’alignement réglementaire, qui pourrait retarder l’accès aux financements conditionnés du Plan de croissance pour les Balkans. Par ailleurs, toute dégradation dans les domaines de l’État de droit, de l’indépendance judiciaire ou du traitement des contre-pouvoirs serait susceptible de compromettre la trajectoire européenne du pays, avec un impact direct sur la confiance des investisseurs et les relations internationales.