Dynamique de reprise toujours incomplète
Alors que l’Espagne a été très affectée par la pandémie de la COVID-19 du fait de sa dépendance au secteur du tourisme (12% du PIB et 13% de l’emploi), sa dynamique de reprise s’est fortement dégradée suite à l’éruption de la guerre en Ukraine. L’environnement restant défavorable en 2023, le PIB ne retrouvera toujours pas son niveau d’avant crise. Malgré un rebond en 2022, le tourisme restait encore 15% en-dessous des niveaux pré-pandémiques avec 15% de visiteurs étrangers de moins qu’en 2019. Néanmoins, contrairement à d’autres pays européens, l’Espagne dépend peu du gaz russe et s’approvisionne principalement auprès des Etats-Unis et de l’Algérie).
De plus, son isolement géographique et le faible niveau de connexion gazière avec le reste du continent lui permettent d’être moins exposée au risque de rupture d’approvisionnement. Et ce, d’autant plus que le pays dispose de nombreuses infrastructures (6 terminaux) d’importation de gaz naturel liquéfié. Cet isolement permet également au pays, dans le contexte actuel, de bénéficier de prix plus attractifs via le marché MIBGAS (avec le Portugal). De plus, une « dérogation ibérique » accordée par la Commission européenne a permis au pays de plafonner les prix du gaz intervenant dans la production d'électricité depuis mi-2022 et jusqu’en mai 2023. L’inflation, tirée à la baisse par la modération des prix du gaz et de l’électricité en fin d’année 2022, devrait donc poursuivre sa tendance baissière.
Néanmoins, la hausse des prix de l’énergie s’étant diffusée à l’ensemble des produits et services – l’inflation sous-jacente a atteint 7% en décembre 2022 -, l’inflation restera à des niveaux bien supérieurs à ceux enregistrés avant la crise. Les salaires progressant moins rapidement, les ménages verront leur pouvoir d’achat se réduire. Cette période d’incertitude étant propice à la constitution d’une épargne de précaution, les ménages diminueront leur consommation. En parallèle, les entreprises continueront de subir les hausses de coût des intrants et les augmentations de salaires, tout en faisant désormais face à des coûts de financement bien plus élevés, dans la mesure où la BCE poursuivra son resserrement monétaire en début d’année. La diminution conséquente des marges, dans un contexte de forte incertitude économique, entravera l’investissement des entreprises. Dans ce panorama assombri, l’activité sera toutefois toujours soutenue par les fonds européens, avec 69,5 milliards d’euros de subventions (6% du PIB) pour la période 2021-2026. Du côté du commerce extérieur, les exportations seront limitées par la conjoncture régionale morose, puisque 62% de ses exportations sont à destination du reste de l’Union Européenne (68% en ajoutant le Royaume-Uni).
Finances publiques toujours dégradées en raison de la prolongation des mesures de soutien
Les comptes publics resteront largement déficitaires en 2023 en raison de la prolongation de nombreuses mesures de soutien. Le gouvernement poursuivra ainsi les mesures pour limiter l’impact de la hausse des prix de l’énergie sur les ménages (réduction du prix des carburants, de la TVA sur des denrées de première nécessité et des taxes sur le prix de l’électricité), et certaines introduites lors de la pandémie (activité partielle, prêts garantis). Les dépenses sociales atteindront un niveau record (60% du budget total). Le gouvernement financera une partie de ces mesures grâce aux taxes temporaires sur les bénéfices exceptionnels des banques et des sociétés énergétiques (recettes estimées à 7 milliards d’euros, soit 0,6% du PIB, sur deux ans). La BCE ayant annoncé qu’elle commencera à réduire son portefeuille d’actifs en mars 2023, en ne réinvestissant pas une partie des obligations arrivant à échéance, le coût de financement augmentera encore un peu plus. Dans ce contexte, la soutenabilité de la très élevée dette publique sera l’un des enjeux à moyen terme.
D’autre part, depuis 2013, le pays a constamment affiché un excédent courant, qui s’est nettement réduit en 2020 du fait de la chute des revenus touristiques. L’important excédent de la balance des services (5 % du PIB avant la pandémie, 2 % depuis) permet de compenser les déficits structurels de la balance des biens, largement imputable à la dépendance énergétique du pays, et de celle des revenus (envois de fonds des diasporas latino-américaines et marocaines vers leurs pays d’origine). Malgré la confirmation du retour des touristes étrangers, l’excédent courant restera stable en 2023, du fait d’une facture énergétique toujours élevée et d’une demande extérieure morose. Malgré une tendance baissière au cours des dernières années, la dette extérieure nette du pays reste parmi les plus importantes de l’Union européenne (69 % du PIB mi-2022).
Vers des élections générales 2023 très incertaines, qui pourrait voir le retour du PP, principal parti d’opposition
A la tête depuis janvier 2020 d’un gouvernement de coalition hétérogène, soutenu par Unidas Podemos (UP, extrême-gauche, 33 sièges) et une multitude de petits partis, dont des partis régionalistes, le Premier ministre Pedro Sánchez, du parti socialiste (PSOE, 120 sièges sur 350) verra son mandat arriver à son terme en 2023. Les élections générales, qui auront lieu au plus tard en décembre, s’annoncent particulièrement incertaines. Début 2023, les sondages créditaient le principal parti d’opposition, le Parti populaire (PP, centre-droit) d’Alberto Núñez Feijóo, de 31% des intentions de vote, contre 25% pour le PSOE.
Toutefois, le paysage politique étant particulièrement polarisé et fragmenté, le PP serait vraisemblablement contraint de former une coalition avec le parti d’extrême-droite Vox (15% des intentions de vote). Si un tel accord a déjà été conclu dans la région de Castille-et-León en mars 2022, la négociation d’une telle alliance à l’échelle nationale est plus incertaine, notamment en raison du positionnement plus centriste de Feijóo. Quels que soient les résultats de ces élections, les nombreux petits partis régionalistes devraient une nouvelle fois avoir un rôle prépondérant dans la constitution d’une majorité. Ainsi, les négociations en vue de la future coalition de gouvernement pourraient être longues et incertaines. Si, dans une volonté d’apaisement, Pedro Sánchez a accordé une grâce à neuf dirigeants séparatistes condamnés en 2019 pour avoir organisé le référendum, la question de l’indépendance de la Catalogne reste d’actualité, dans la mesure où, dans le cadre des négociations sur le statut de la région, l’exécutif actuel demande toujours l'organisation d'un référendum d'autodétermination.